Les bois et la végétation maintenus dans les vignobles de Peybonhomme entretiennent la biodiversité. / Christophe Bornet

D’abord, il y a Irwan, Bobby et Pandie, les trois chiens qui font les foufous sur la terrasse, quand Pitou, le chat, file discrètement dans la maison. Ensuite, résonne le babil charmant et incessant de Jeanne, 2 ans, interpellant ses cousines Abigael et Gloria. Leur grand-père, Jean-Luc, 59 ans, coupe menu le chou rouge, non loin d’une respectable côte de bœuf qui attend de rejoindre la cheminée où une flambée distille sa douce chaleur, bienvenue en cette soirée venteuse et pluvieuse de janvier.

Jean-Luc Hubert ne touchera pas à la viande, il est végétarien. Une conviction acquise au fil des années, tout comme l’idée de passer le domaine viticole dont il s’est longtemps occupé avec son épouse, Catherine, en biodynamie. La transition s’est faite en 2000. Aujourd’hui, Rachel, sa fille, et Guillaume, son fils, 32 et 36 ans, œuvrent à produire des cuvées de qualité, huit réparties sur les domaines familiaux, le Château Peybonhomme-les-Tours (55 ha en production), en appellation blaye-côtes-de-bordeaux, et le Château La Grolet (33 ha), en appellation côtes-de-bourg.

Pas de traitement chimique

« Alors que la plupart des vins de Bordeaux sont devenus inintéressants, du fait de trop nombreuses manipulations destructrices, Peybonhomme et La Grolet proposent des vins fruités et riches en minéralité, bien spécifiques de leurs terroirs », décrit la famille Hubert. Ici, dans cette demeure historique – la jolie tour crénelée remonte au XVIIe siècle –, le choix est revendiqué et sans compromis. Les vignes qui habillent les coteaux, descendant vers l’estuaire de la Gironde, ne sont pas traitées chimiquement. Dans le chai, levures, sucres, enzymes et collage sont également interdits.

« Au début, on était les fous », raconte Catherine. « Les voisins venaient voir si on avait quand même du raisin malgré l’absence de traitement », ajoute Jean-Luc. Mais la tribu a tenu bon, assumant la conversion de ce domaine historique, issu de la fusion ­entre deux familles, les Hubert, longue lignée de marins qui naviguaient sur le fleuve sur des gabares transportant les barriques, et les Peybonhomme, plusieurs générations de vignerons.

« Nous souhaitons transmettre un peu de notre terroir que nous aimons tant, que les gens qui boivent nos vins perçoivent l’émoi que je ressens quand je me balade dans nos vignes. » Rachel Hubert

« Il faut garder son cap, ignorer ce qui se passe autour. Il y en a qui ont toujours en tête, même chez les jeunes, la question du rendement, comme leurs grands-parents : produire moins, cela reste un échec pour certains », explique Rachel Hubert, devenue une des ambassadrices de charme du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux.

La rupture avec les ancêtres qui cherchaient le rendement ne s’est pas faite en un jour. Des conférences à la Coulée de Serrant, le domaine de Nicolas Joly, sur la rive droite de la Loire, une référence de la biodynamie, ont persuadé Jean-Luc Hubert de sauter le pas. Les tempêtes dévastatrices Lothar et Martin, fin décembre 1999 en France, ont achevé de le convaincre.

Leurs enfants ont suivi la voie naturelle. « Nous souhaitons transmettre un peu de notre terroir que nous aimons tant, que les gens qui boivent nos vins perçoivent l’émoi que je ressens quand je me balade dans nos vignes et que j’aperçois une biche, ou une chouette nichée sur le chai », plaide Rachel.

Dans le chai justement, où reposent dix-huit « œufs » en grès consacrés aux rouges, des barriques pour les blancs et les cuves installées par leur grand-père, les deux jeunes analysent chaque cuvée. La préférée du moment est « Energies 2015 », une friandise à base de merlot (60 %), de malbec et de cabernet franc, élevée en amphore. Il y a aussi « Les Vacances de M. Merlot », un merlot 100 % sans soufre, ou encore « L’Atypic », moitié cabernet franc, moitié malbec.

Tous ces vins ont une identité que respecte la biodynamie, avancent-ils. « On ne fait pas de cuvée parcellaire, on goûte à l’aveugle les jus, sans se dire qu’il y a une superparcelle que l’on réserve pour un vin ; le millésime change tout à chaque fois », analyse Guillaume.

Une démarche encore marginale

L’intoxication de 23 élèves et d’une enseignante dans une école primaire de Villeneuve-de-Blaye (Gironde), en mai 2014, à quelques kilomètres du domaine – un non-lieu a été prononcé le 4 septembre 2017 à l’encontre des deux domaines responsables de l’épandage –, a scandalisé la famille Hubert. Et apporté des arguments supplémentaires à leur démarche.

A la Maison des vins de Blaye, non loin de la citadelle qui veille sur l’estuaire, Cédric Groussard veut croire, lui, à l’évolution du vignoble. Affichant une cinquantaine de vins bio sur 300 références, le responsable vante « une grosse prise de conscience », sous l’œil sceptique de Rachel. Sur les 6 500 hectares de l’appellation, Mickaël Rouyer, directeur du Syndicat viticole de Blaye, annonce, lui, une vingtaine de propriétaires en bio et quatre en biodynamie, sur 250 domaines indépendants (450 au total dans l’appellation).

On le voit, la marge de progression reste importante. François des Ligneris, personnage du Bordelais, ex-propriétaire du Château Soutard, un grand cru classé de saint-émilion, et ancien restaurateur – son Envers du décor était un rendez-vous incontournable –, a la solution : « Il faudrait indiquer sur les étiquettes la nature et la quantité des intrants utilisés. On ne préciserait pas bio, ce serait la norme, comme à l’époque où la chimie n’était pas entrée dans les vignes. »