Les nécrologies étaient prêtes dans les rédactions suédoises. À l’automne, la radio publique avait déjà annoncé par mégarde le décès du fondateur d’Ikea, avant de se rétracter. Selon ses amis, le nonagénaire, revenu vivre en Suède après la disparition de sa femme en 2011, est mort samedi 27 janvier des suites d’une pneumonie contractée lors d’un voyage.

Toute la journée, les hommages n’ont cessé d’affluer. Le premier ministre, Stefan Löfven, a salué un « entrepreneur unique », qui était selon lui « une inspiration de par son énorme engagement à l’international comme en faveur des campagnes suédoises ». Le roi Carl XVI Gustav fait l’éloge d’un « vrai entrepreneur, qui par l’œuvre de sa vie, Ikea, a contribué à faire connaître la Suède dans le monde entier ».

Dans une réaction aux connotations presque hagiographiques - qui étonnera sûrement certains de ses homologues étrangers ayant eu maille à partir avec Ikea – Karl-Petter Thorwaldsson, patron de la puissante organisation syndicale LO, souligne qu’Ingvar Kamprad était « sans doute le plus grand entrepreneur qu’a connu la Suède » et celui qui, de tous les Suédois, « a eu le plus d’importance dans le monde, durant les temps modernes ».

Le mythe et l’icône

C’est sans doute un des principaux éléments de la construction du mythe Ikea et de l’icône Kamprad : l’influence de la marque, aux couleurs du drapeau suédois, dans le rayonnement du royaume scandinave à l’étranger. « Il a placé la Suède sur la carte du monde », répète-t-on depuis que la nouvelle de sa mort est tombée.

« Non seulement, sa création emploie 150 000 personnes dans le monde et décore les maisons sur presque tous les continents, écrit le journal Dagens Nyheter. Elle a aussi enseigné à des millions de gens des mots comme Blårips, Signe et Kivik – une action culturelle, précise le journaliste, que personne ne parviendra à répéter. »

« Ikea est devenu un symbole de la classe moyenne croissante qui, grâce à l’économie de marché et la globalisation, a eu les moyens de créer son propre petit univers à son image. » Le quotidien « Dagens Nyheter »

Ingvar Kamprad était un « Henry Ford suédois », poursuit le quotidien : « Un entrepreneur qui n’a pas seulement créé une compagnie, mais aussi un style de vie et une approche. Tout comme la voiture de Ford était associée à une mobilité qui a conduit les hommes dans la modernité, Ikea est devenu un symbole de la classe moyenne croissante qui, grâce à l’économie de marché et la globalisation, a eu les moyens de créer son propre petit univers à son image. »

Le journal Svenska Dagbladet le classe au rang des « supers-entrepreneurs », qui ont pu voir le jour et prospéré grâce à la mondialisation et au libre-échange : « Que les marchandises puissent être achetées et produites dans des pays à bas coûts, puis vendues dans des États où les coûts étaient plus élevés, a été un générateur de profits pour les maisons de commerce international. »

« Maison du peuple »

Ikea en a profité à plein, devant d’ailleurs régulièrement s’expliquer après des révélations embarrassantes sur l’exploitation de sa main-d’œuvre à l’étranger ou les conditions de travail chez certains de ses sous-traitants et même dans certains de ses magasins. Le groupe est également visé par une enquête pour optimisation fiscale, ouverte par Bruxelles, en décembre.

Paradoxalement, Ingvar Kamprad, une des personnalités les plus riches du monde, aimait à se présenter en patron paternaliste, prenant soin de ses employés – suédois, en tout cas – avec qui il fêtait chaque année Noël à Älmhult, où tout a commencé. C’est dans ce petit village du sud de la Suède qu’il a inauguré en 2016 le Musée Ikea, retraçant l’histoire de la marque et le rôle qu’elle a joué dans la construction de la « folkhemmet » - la « maison du peuple » suédois, métaphore de l’Etat-providence.

Sympathies nazies

Une manière d’alimenter la légende, comme le rôle du campagnard un peu benêt, pingre aux limites du ridicule, qu’il a endossé toute sa vie, lui attirant souvent la sympathie de ses concitoyens, prêts à tout lui pardonner, y compris ses sympathies nazies, pendant et même après la seconde guerre mondiale, qu’il avait regretées.

Au fil des ans et des révélations, cependant, le mythe s’est étiolé. « C’est avec lui, comme avec tous les créateurs culturels qui sont tombés amoureux de Staline ou de Mao, écrit Dagens Nyheter. Leur œuvre demeure, leur fascination pour des idéologies meurtrières continuera d’être un sujet pour les historiens et les débatteurs. »

Selon ses proches, Ingvar Kamprad préparait sa succession depuis 1976. Pour le moment, peu de choses ont filtré, si ce n’est qu’elle ne devrait pas inclure ses trois fils, et encore moins la fille qu’il avait eu d’un précédent mariage.