Le grand favori du Prix d’Amérique, "Bold Eagle". / CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Bien malin qui trouvera les cinq premiers à l’arrivée du Prix d’Amérique. Lors des « qualifications », l’indolent Bold Eagle, tenant du titre et double vainqueur, a été chahuté. En particulier par son frère de gamète, le ténébreux Bird Parker, qui lui a soufflé deux manches. Qualifications qui ont également vu sortir leur cadet venu de Suède, Readly Express qui, pour son baptême sur la grande piste, a survolé sa catégorie d’âge, les 5 ans, lors du Prix Ténor de Baune. Le surprenant Valko Jenilat ou encore l’impromptu américain Propulsion sont également dans les clous et cette forte concurrence s’est renforcée depuis l’an dernier pour assurer un match féroce lors de ce qui est présenté comme une « finale » à Vincennes.

Pour endiguer une lancinante baisse de fréquentation des hippodromes depuis, en gros, la libéralisation des paris sportifs en ligne en 2010, le pari d’argent qui accompagne les courses depuis leur origine ne peut plus être leur seul argument de promotion. D’où cette idée de valoriser le caractère compétitif des chevaux là où le grand public ne voyait plus que des numéros. Le but est double : d’abord rendre plus aisée l’identification des principaux acteurs, chevaux et jockeys, pour les néophytes, en créant une forme de championnat, les EpiqESeries, qui regroupent les 14 « plus belles » courses du calendrier du trot et du galop. Deuxièmement, en se rapprochant des codes du sport, voire des jeux vidéos via le système EpiqE Tracking, qui livre en instantané, grâce à une application, toutes les données possibles sur une course, un cheval etc., afin d’attirer un public plus jeune.

Des logiques culturelles et économiques différentes

Le problème est que donner un aspect de championnat aux courses de chevaux comme il est possible de le concevoir en athlétisme, se heurte à leur variété et profusion qui pour multiplier les paris est source de confusion. Et même avec cette volonté d’isoler une élite pour faire émerger les chevaux, jockeys-drivers, entraîneurs brillants, il est difficile de faire cohabiter trois disciplines aussi différentes que le trot et le galop (plat et obstacle) dans une même formule. En vérité, ces trois disciplines suivent des logiques culturelles et économiques différentes et seul le trot, aujourd’hui, semble en mesure de s’adapter à un système de championnat qui aboutirait au sacre annuel du meilleur trio cheval-driver-entraîneur lors du Prix d’Amérique.

Les signes de cette mutation sont là. Les 18 chevaux au départ du Prix d’Amérique, ce dimanche à 16 heures, sont bien le résultat d’un écrémage sur la piste. Une suite de quatre courses se déroulant toutes à Vincennes de novembre à janvier sert de qualifications. Les trois premiers arrivés dans chaque épreuve accèdent au sommet de la saison. Éric Raffin, driver et jockey, vainqueur du Prix de Bretagne avec Valko Jenilat, confirme qu’avec ces éliminatoires, « tout le monde est obligé de rouler ». Selon lui, avant, il y avait des « fausses courses », soit des épreuves où l’on pouvait tromper son monde pour se préserver avant le Prix d’Amérique. « Aujourd’hui, non seulement les 4B* sont des quintés, mais on a l’assurance qu’au Prix d’Amérique on retrouve tous les chevaux en forme du moment, ce qui permet d’observer la préparation de la concurrence, d’élaborer une stratégie. » Les meilleurs du moment, certes, mais uniquement ceux qui maîtrisent la cendrée de Vincennes sur 2 700 m.

Outre ces chevaux qualifiés, les deux vainqueurs des grands critériums pour chevaux âgés de 4 et 5 ans sont versés dans le lot final et, enfin, il est complété par les chevaux qui, par leurs gains acquis jusque-là en course, peuvent être repêchés. Bold Eagle avait donc, sur cette base, pratiquement son ticket en poche compte tenu de son palmarès. Il a néanmoins profité des qualifications pour tester différentes options de chaussures, et se jauger puisqu’il est parvenu à se classer trois fois deuxième sur 3 courses. Cette évolution présente l’avantage pour le public d’accumuler sur un temps ramassé un maximum d’informations utiles pour apprécier la course le jour de ladite finale. Ce mode de compétition n’est toutefois possible uniquement parce que le trot est une économie fermée, régulée, fonctionnant presque comme une ligue professionnelle à l’américaine. La France étant le centre du monde en ce qui concerne le trot.

Le trot fidélise localement le grand public

Cela ne serait en revanche pas envisageable au galop selon Pierre Pilarski, propriétaire de Bold Eagle : « Sur le plat, l’importance de la race est primordiale. Si vous voulez gagner l’Arc de Triomphe, c’est quasiment une science, ça se fait sur la physiologie, la génétique. Donc, celui qui a le plus d’argent gagne. Au trot, on peut tomber sur la perle rare. » Et le prix des chevaux est bien plus bas. Donc, la course est primordiale pour gagner de l’argent et entretenir le cheval tandis que l’économie du pur-sang, elle, est mondiale et elle poursuit un but d’élevage. « C’est un peu comme le Concours de saut d’obstacle (CSO). Sans allocations aux vainqueurs, le galop continuerait d’exister, pas le trot », taquine Pierre Pilarski.

En plat, rien n’oblige à affronter un dangereux rival dans des séries imposées de qualifications. Il est même parfois avisé d’éviter de terminer deuxième dans une grande course quand un pur-sang a déjà atteint une certaine valeur marchande, tandis que le sport voudrait que les meilleurs soient dans l’obligation de se mesurer régulièrement. Difficile, ainsi, pour un spectateur novice en plat de se repérer alors que pour un spécialiste, l’art des croisements et des ventes de pur-sang sont tout le sel du galop. Résultat : le trot fidélise davantage localement le grand public et les parieurs** parce qu’ils présentent régulièrement des chevaux aux carrières longues (de 2 à 10 ans). Tandis que dans le galop, plus élitiste, beaucoup plus onéreux, les chevaux stars ont des parcours plus éphémères et courent parfois très loin des hippodromes français.

Olivier Villepreux

* Les 4B, soit le Prix de Bretagne, le Prix du Bourbonnais, le Prix de Bourgogne et le Prix de Belgique.

** Les chiffres comparés du PMU sur les deux grandes courses en 2017 :

Prix d’Amérique (trot) : enjeux sur la journée : 36,9 millions d’euros dont 14 % enregistrés à l’étranger et 10 % sur Internet ;

Prix de l’Arc de Triomphe (galop) : enjeux sur la journée : 28,3 millions d’euros dont 14 % à l’étranger et 10 % sur Internet (source : PMU).