C’est la fin d’une bataille-éclair de six semaines, et le vainqueur est Schmolz + Bickenbach. Le groupe suisse a été officiellement désigné lundi 29 janvier par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg pour reprendre les cinq sites d’Ascometal, et ses 1 350 salariés. La reprise de la société sidérurgique sera effective à compter du 1er février, a indiqué le tribunal alsacien.

L’offre de reprise du groupe suisse, leader mondial de la production d’aciers longs en aciers spéciaux avec un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros en 2016, a été préférée à celle de l’anglo-indien GFG Alliance, et sa filiale Liberty House. Ce groupe détenu par l’entrepreneur Sanjeev Gupta constitue depuis le début des années 2010 une activité sidérurgique, mais n’était présent dans les aciers spéciaux que depuis 2016 et le rachat d’une ancienne filiale de Tata Steel. Début janvier, ce groupe a annoncé l’acquisition auprès de Rio Tinto de l’usine d’aluminium de Dunkerque pour près de 500 millions d’euros.

Lors de la présentation des offres devant le tribunal, Liberty apparaissait le mieux-disant à tous les niveaux. Il proposait de reprendre les cinq sites du groupe (Dunkerque dans le Nord, Le Marais, près de Saint-Etienne dans la Loire, Custines et Hagondange dans le Grand-Est, Fos-sur-Mer dans les Bouches-du-Rhône), de sauvegarder l’ensemble des 1 350 emplois, et de reprendre également les 40 % du site d’Ascoval de Saint-Saulve (Nord), une filiale conjointe avec Vallourec, que le groupe suisse n’entend pas conserver.

Ces propositions n’ont cependant pas convaincu les juges, sans doute du fait du flou du plan de financement. En effet, alors que Schmolz + Bickenbach, déjà présent en France par le biais de sa filiale Ugitech, qui emploie 1 500 personnes dans l’Hexagone, s’est engagé à investir dans les années à venir 195 millions d’euros, sur ses fonds propres, Liberty annonçait dans ses communiqués un investissement sur cinq ans de 300 millions.

Expérience industrielle du groupe suisse

Problème, dans l’offre, le groupe ne parlait plus que de 120 millions d’investissements, dont seulement 10 millions apportés directement par Liberty. Le reste était constitué d’aides ou de prêts des régions Grand-Est, Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côtes d’Azur, à hauteur de 29 millions d’euros, de 40 millions d’euros apportés par Vallourec, pour couvrir les pertes à venir d’Ascoval, et de 40 millions d’euros de prêts alloués par la propre banque de Sanjeev Gupta.

De même, les juges ont préféré l’expérience industrielle du groupe suisse, qui entend consolider le marché européen, à l’inexpérience du groupe britannique, dont le projet industriel était jugé léger par les observateurs, et notamment la CFDT. Alors que Schmolz + Bickenbach s’engage à saturer les usines françaises en les spécialisant et les coordonnant avec les usines allemandes de Schmolz + Bickenbach, Liberty promettait d’augmenter les volumes en cherchant de nouveaux débouchés, alors que ses usines actuelles tournent à moins de 40 % de capacité… La promesse a été jugée trop incertaine par la justice commerciale.

La justice espère surtout qu’avec le nouvel acquéreur, l’entreprise française va, enfin, cesser sa descente aux enfers. Dans les années 1980, cette ancienne filiale d’Usinor était l’un des leaders mondiaux des aciers spéciaux, notamment à destination de l’automobile, et un peu à destination du secteur pétrolier. En 1999, Usinor cède Ascometal à l’italien Lucchini , qui récupère les volumes de production pour les transférer vers ses usines en Italie, et renâcle à financer le développement d’Ascometal.

Réduction des effectifs

En 2009, le fonds Apollo reprend la société, lui prêtant au passage à un taux de 16 % 300 millions d’euros. Ce sera un fardeau trop lourd pour la société qui ne dégage pas assez de bénéfices pour rembourser sa maison mère. En 2013, Ascometal, qui emploie alors 1 900 salariés sur une demi-douzaine de sites, se déclare une première fois en faillite avec un passif de 500 millions d’euros.

En 2014, la société est reprise par un consortium mené par Frank Supplisson, ancien directeur de cabinet d’Eric Besson, et de plusieurs fonds d’investissement anglo-saxons. En trois ans, le groupe divisera par deux son chiffre d’affaires, notamment du fait de la chute du secteur pétrolier, qui faisait les marges du groupe. En novembre 2017, lestée de quelque 50 millions de dettes, la société s’est déclarée en cessation de paiement.

Le choix Schmolz + Bickenbach sera sans doute critiqué notamment par les responsables régionaux, car le groupe suisse n’a pas fait mystère de sa volonté de réduire les effectifs. Il a constitué une enveloppe d’au moins de 1,5 million d’euros financer un plan de départs de plus d’une centaine de personnes.