Des soldats de l’Armée nationale afghane, aux abord de l’Académie militaire Maréchal Fahim, à Kaboul, le 29 janvier. / Rahmat Gul / AP

L’Afghanistan appartient à ces quelques lieux sur terre où le pire ne semble pas avoir de fin. Deux jours après l’attentat le plus sanglant de l’année perpétré par les talibans, l’organisation Etat islamique (EI) a revendiqué, lundi 29 janvier à l’aube, une attaque qui a fait au moins cinq morts et dix blessés parmi les soldats afghans contre l’académie militaire Maréchal Fahim, à Kaboul.

La veille, les cimetières et les morgues de la capitale afghane ­résonnaient des pleurs des proches des nombreuses victimes de l’attentat-suicide qui a semé, samedi 27 janvier, terreur et désolation après qu’une ambulance piégée a explosé au cœur de la ville, dans un quartier sécurisé et commerçant. Le bilan, selon le ministère de l’intérieur, est d’au moins 103 morts et 235 blessés, des ­chiffres encore provisoires.

Centres de soins dépassés

Il n’y a pas de zone que les assaillants ne paraissent désormais pouvoir atteindre. Le kamikaze a réussi à franchir le premier barrage de la route Shahrara qui mène, après un second checkpoint, au ministère afghan de l’intérieur, mais également à la délégation de l’Union européenne et à plusieurs ambassades dont celle de l’Inde ou de la Suède.

Infographie Le Monde

Dimanche, le ministre de l’intérieur et le chef des services de renseignement afghans, le NDS, ­Mohammed Masoom Stanekzai, ont affirmé que « des images aériennes » montrent deux ambulances se présentant l’une derrière l’autre au premier barrage. « La première a été vérifiée par la police : on voit le policier parler au conducteur avant de le laisser passer avec la deuxième ambulance, dont il a pensé qu’elle accompagnait la première. »

Le conducteur de la seconde ambulance s’est engagé vers l’hôpital Jamhuriat. Après avoir stationné une vingtaine de minutes sur le parking de l’établissement hospitalier, l’ambulance remplie d’explosifs s’est présentée au deuxième checkpoint. Bloqué par les gardes, le conducteur a déclenché l’explosion qui a ébranlé la ville, les bâtiments et les rues adjacentes, tordant les fers, arrachant les toits en tôle. La rue Chicken Street, à hauteur du second barrage, connue pour héberger de nombreux antiquaires et commerces d’artisanat, jadis fréquentée par les touristes, a été particulièrement touchée par le souffle.

La majorité des victimes sont des civils de tous âges, enfants, hommes et femmes. Les centres de soins de la ville ont vite été dépassés. Les couloirs de l’hôpital Jamhuriat étaient encombrés de patients attendant d’être soignés. L’ONG italienne Emergency, qui gère une antenne chirurgicale spécialisée dans le traitement des blessures de guerre, a dû refuser des patients après avoir été contrainte d’allonger ceux qu’elle avait déjà accueillis à même la ­pelouse. Les victimes les moins graves étaient renvoyées vers d’autres établissements.

Jointe par Le Monde, la délégation de l’UE, située à moins de cent mètres de l’explosion, a indiqué avoir immédiatement placé ses personnels dans des zones confinées et sécurisées. L’un de ses responsables a évoqué une ville en état de choc en dépit de la répétition des violences.

« L’essentiel des organisations et ambassades étrangères présentes à Kaboul ont interdit à leurs personnels de sortir ces jours-ci, le niveau d’alerte est maximal », a ajouté la même source. Les locaux, tout proches, du Haut Conseil pour la paix, chargé des négociations, au point mort, avec les principaux mouvements insurgés afghans, dont les talibans, ont également subi des dégâts matériels importants. Plusieurs organisations, dont celle de l’Aga Khan, ont indiqué qu’elles allaient envoyer leurs personnels « non essentiels » dans des pays voisins.

Quatre attentats ont eu lieu dans le pays en moins de dix jours, depuis celui du 20 janvier, commis contre l’Hôtel Intercontinental à Kaboul, suivi de l’attaque contre l’ONG Save The Children à Jalalabad (est) le 24. La colère monte face à l’incapacité des autorités à juguler la violence.

« Faiblesse de l’Etat »

L’impéritie des forces de sécurité et de renseignement a été mise en exergue par des parlementaires. « Nous sommes très surpris face à une telle faiblesse de l’Etat. Combien de temps encore notre peuple doit-il souffrir et mourir avant que nos dirigeants ne quittent leur fonction pour incompétence ? », s’est interrogé le sénateur Safiullah Hashemi. Un membre du conseil provincial de la région de Kaboul, Mohsin Ahmadi, a regretté que le gouvernement « soit plus occupé par des affaires de luttes politiques internes et d’intérêts personnels que ceux du peuple afghan ».

Les principaux responsables politiques afghans sont, en effet, aujourd’hui concentrés sur l’enjeu de la prochaine présidentielle prévue pour 2019. La gouvernance du pays est quasi paralysée par la rivalité entre le président pachtoune Ashraf Ghani et le chef de l’exécutif, Abdullah Abdullah, d’origine tadjike. Selon un diplomate occidental, à Kaboul, cette situation est aggravée par le fait que le président Ghani et ses concurrents prennent pour acquis que la communauté internationale ne laissera jamais les talibans revenir au pouvoir.

Face à la presse, dimanche, M. Stanekzai, chef du NDS, a défendu sa position en rappelant que « les renseignements ne sont pas toujours fiables à 100 % mais cela ne signifie pas qu’il y a eu manquement ; nous avons déjoué beaucoup d’attaques, certaines sont difficiles à prévoir ; j’espère que les Afghans comprennent qu’il s’agit ici d’une guerre régionale et internationale contre le terrorisme ».