Au tribunal correctionnel de Paris où se déroule le procès de Jawad Bendaoud, accusé d’avoir logé des terroristes responsables des attentats du 13 novembre 2015. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Le tribunal s’est penché, au quatrième jour, lundi 29 janvier, du procès de Jawad Bendaoud, accusé d’avoir hébergé deux des terroristes du 13 novembre 2015, sur la vie des trois jeunes prévenus. C’est finalement assez bref : ils ont passé plus de temps de leur vie d’adulte derrière les barreaux que dans leur cité. Sauf Youssef Aït Boulahcen.

Le jeune homme de 25 ans, soupçonné d’avoir aidé sa sœur à cacher Abdelhamid Abaaoud, le cerveau des attentats, et poursuivi pour « non-dénonciation de crime », fait tout pour se faire oublier. Lui n’a pas de casier, comparaît libre, pointe ponctuellement au commissariat chaque semaine, a changé très officiellement de nom et endure les audiences le nez baissé, une écharpe sur le visage. « Vous permettez que je me tourne pour pas être photographié ou dessiné ? », dit Youssef Aït Boulahcen. « C’est pour ça, que vous vous cachez depuis le début de l’audience ? », répond la présidente, Isabelle Prévost-Desprez.

C’est pour ça. Il vient de décrocher son diplôme d’ambulancier, travaille aussi « sans relâche » comme livreur de journaux et gagne autour de 3 000 euros par mois. Il aide son petit frère, lui a même donné sa voiture, il est célibataire, sans enfants. Des personnes à charge ? « Avant, j’avais un chat. » Il est poli, bien habillé, parle en termes choisis et s’efforce d’être absolument lisse. Pour faire oublier la littérature djihadiste trouvée chez lui, qu’Abaaoud aussi était son cousin, même s’il ne le connaissait guère, et qu’une de ses sœurs le traitait de « sale radicalisé » – ce qu’il nie hautement.

Mohamed Soumah, dit Mouss, est son exact contraire. C’est lui qui a mis Hasna, la sœur de Youssef, en contact avec Jawad Bendaoud. Une mère guadeloupéenne, très catholique, un père guinéen, musulman. Il a choisi à 13 ans l’islam, « parce que je porte le nom de mon père », mais il est aussi loin des djihadistes qu’un dealer de coke d’un amateur de thé au ginseng. A 29 ans, après quinze condamnations, il a déjà passé neuf ans en prison, la première fois à 16 ans – vols avec violence, recel, rébellion, stupéfiants… « Quand j’étais jeune, j’étais un peu excité, convient Mouss. Depuis mon très jeune âge, je veux être un mec de la rue, je veux tout niquer. » Il est vite passé « des petites magouilles » (dealer de cannabis) à une situation assise de vendeur de cocaïne. Lui n’en prend pas – il n’a fumé du shit qu’en prison. Les deux, trois formations qu’il a suivies en prison n’ont pas été plus loin que ses sorties du régime pénitentiaire.

« Vous avez l’air d’une gentille dame »

Mouss est un voyou, il le reconnaît volontiers, mais c’est un bon fils. Il va voir sa sœur handicapée quand il est dehors, c’est-à-dire pas souvent, s’inquiète de son petit frère qui tourne mal. Ses parents se sont séparés quand il avait 5 ans, et il traîne depuis à Saint-Denis. Il n’était pas rentré en prison lors d’une permission quand sa mère est morte dans un accident de voiture, en 2013. « Le jour où c’est arrivé, j’ai senti un truc bizarre, j’ai commencé à chercher ma mère, a expliqué Mohamed. Une copine à elle m’a aidé à appeler les hôpitaux, j’ai appris qu’elle était morte. J’étais recherché par la police, j’ai dû organiser tout seul l’enterrement, un bel enterrement à l’église comme elle aurait voulu. » C’est sa plus grande douleur. Pour jurer sur ce qu’il a de plus précieux, il dit toujours « sur la tombe de ma mère ».

Mouss connaît les risques du métier, il a pris une balle de 9 mm dans la jambe dans une affaire dont il ne veut rien dire, promet de s’amender, s’excuse auprès des parties civiles, et assure qu’il est amoureux et « ne veu[t] pas que [s]on petit frère suive son chemin ». L’avis des psychiatres est plus sombre ; Mohamed Soumah se caractériserait par « une forte inadaptation sociale » : « Tout se passe comme si sa propre existence ne s’inscrivait ni dans la durée, ni dans la sécurité. »

Jawad Bendaoud, enfin, qu’on ne présente plus. Français d’origine marocaine, berbère, 31 ans. Lui jure sur la tête de son fils, Adam, 8 ans. Comme Mouss, les psychiatres l’ont jugé d’une « capacité intellectuelle de niveau moyen », la verve en plus. Il a été condamné cinq fois, le plus gravement à huit ans de prison, pour avoir tué par accident son meilleur ami, et n’a pas été un client facile en détention. Il s’énerve vite, et l’isolement complet n’a rien arrangé. « J’ai pas touché un humain depuis vingt-sept mois, dit le jeune homme. Sauf au parloir mon frère, mon père, et ma copine escort girl. » Il avoue qu’il pleure dans sa cellule, écoute de la musique dans le noir, son frère lui a dit, « t’es en train de devenir fou. Quand je viens, t’es excité, tu parles fort, tu dis toujours la même chose. »

La prison, il connaît trop. Un psychiatre pontifiant le juge « inscrit dans une errance galérienne », dans « un agir transgressif et délictuel ». Il a eu deux téléphones en cellule pendant vingt et un mois, et sait reconnaître le talent : quand un gardien a découvert sa puce soigneusement scotchée dans un livre de 400 pages, il lui a dit, « comment t’as fait, mec, t’es un champion. » Par les fenêtres, on lui hurle, « t’es le Jawad de BFM ? » Et il a tantôt droit à un « Allahou Akbar » qui le déprime, ou un « Alors salut, je veux pas d’ennuis ». Jawad promet qu’il s’est amendé, qu’il a un projet de restaurant de la mort à sa sortie, et que « même [s’il] mange aux Restos du cœur, [il fera] rien d’illégal ». C’est un peu pour faire plaisir à la présidente. « Madame la juge, je vous respecte, lui a dit le détenu. Vous avez l’air d’une gentille dame. Je vous fais pas de la lèche comme les avocats sur BFM. »