Editorial du « Monde ». Le « cinquième risque » est en train de se rappeler au bon souvenir du gouvernement. Dix ans après le lancement du plan solidarité grand âge, visant à prendre en compte la dépendance comme un risque à part entière, au même titre que la maladie, les accidents du travail, la retraite et la famille, les moyens mis en œuvre ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux. Au bord de l’asphyxie, les établis­sements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont donc décidé, mardi 30 janvier, de lancer un mouvement de grève inédit, réunissant à la fois personnels et directions.

En sous-effectif criant, les Ehpad ne sont plus en mesure d’assurer la sécurité et la dignité de leurs patients, de plus en plus nombreux, de plus en plus âgés et qui demandent de plus en plus d’accompagnement. Près de 730 000 personnes âgées sont actuellement placées dans ce type d’établissement. Un Français de plus de 90 ans sur trois est concerné. Un tiers des résidents est atteint d’une maladie neurodégénérative. Pour s’en occuper, on ne compte que six ­salariés pour dix vieillards, contre un pour un dans les pays scandinaves.

Ce déséquilibre conduit les personnels à accomplir les tâches quotidiennes de base à la chaîne, reléguant le lien humain à l’accessoire. La dégradation des conditions de travail génère des taux d’accidents du travail et d’absentéisme aberrants par rapport aux autres métiers de la santé.

Le problème n’est pas nouveau. La réforme sur la dépendance de 2007, faute de moyens, n’avait pas tenu un quinquennat, Nicolas Sarkozy ayant renoncé à son financement dès février 2012. L’essentiel des moyens provient aujourd’hui des cotisations salariales prélevées au titre de la journée de solidarité, créée en 2004, et de la ­contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, ponctionnée depuis 2013 sur les retraites imposables. Mais, comme pour l’ex-« vignette auto », les gouvernements ne résistent pas à la tentation de détourner ces recettes au gré des urgences budgétaires.

Rafistolage permanent

Sous le précédent quinquennat, le gouvernement avait tenté de cacher la misère en essayant d’améliorer la répartition des moyens entre établissements, sans répondre toutefois au problème de fond. Certes, les moyens alloués aux Ehpad ont augmenté ces dernières années. Une rallonge de 100 millions d’euros dans le budget 2018 de la Sécurité sociale vient d’être votée et, sous la pression, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a promis de rajouter 50 millions pour faire taire la grogne.

En se contentant de ce saupoudrage, l’Etat fait penser à certaines familles qui se donnent bonne conscience en faisant un chèque pour placer un aïeul en maison de retraite, et ensuite ne lui rend plus visite. La première étape dans ce dossier passe par une véritable écoute du gouvernement, qui pour le moment n’a pas daigné recevoir les représentants de la profession.

Dans un deuxième temps, il faut remettre à plat l’ensemble du système. La croissance des besoins s’annonce exponentielle. D’ici à 2070, le nombre des plus de 75 ans aura doublé et celui des plus de 85 ans aura quadruplé. Se contenter de dire, tel le Caligula d’Albert Camus, « il faut bien que vieillesse se passe », conduirait à l’impasse. Avec l’allongement de la durée de la vie, la question du grand âge s’impose comme un défi sociétal majeur. Il est urgent de mettre en place des solutions de long terme au lieu du rafistolage permanent auquel on assiste.