La première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern et son compagnon Clarke Gayford. / Diego Opatowski/AFP

A Wellington, personne n’avait remarqué l’étrange lubie alimentaire de Jacinda Ardern. Dans son bureau, l’élue de 37 ans, devenue en octobre la plus jeune première ministre néo-zélandaise depuis 1856, planchait sur les grands dossiers politiques du pays en se gavant de chips au vinaigre. Un goût prononcé pour le grignotage qui aurait pu trahir, en cette fin d’année 2017, un secret encore bien gardé. La chef du gouvernement est tombée enceinte pendant la campagne électorale et lutte contre de persistantes nausées matinales.

C’est le 13 octobre, peu après les législatives, en pleines négociations pour former une coalition majoritaire et seulement six jours avant la conclusion d’un accord qui allait lui ouvrir les portes du pouvoir, que la travailliste a découvert sa grossesse. Les électeurs, comme l’ensemble de la classe politique, n’ont appris l’heureuse nouvelle que le 19 janvier. « Au bout d’un certain temps, on ne peut plus se cacher derrière l’excuse d’avoir mangé trop de bûches de Noël », répond ce jour-là Jacinda Ardern au côté de son compagnon aux journalistes rassemblés devant sa maison d’Auckland qui l’ interrogent sur le timing de son annonce. « C’est une surprise fantastique », ajoute-t-elle. En juin, Jacinda Ardern sera la première chef de cabinet néo-zélandaise à avoir un enfant pendant son mandat. Sur la scène internationale, un seul précédent : Benazir Bhutto avait 36 ans et dirigeait l’exécutif pakistanais quand elle a donné naissance à sa fille Bakhtawar en 1990.

« Cela décrit bien le type de pays que nous sommes et pouvons être : moderne, avant-gardiste, ouvert et qui offre les mêmes chances à tous. » James Shaw, dirigeant Vert

Celle qui fut DJ à ses heures n’a jamais caché son désir d’être mère. A tel point que dès sa nomination surprise à la tête du Parti travailliste, le 1er août, les questions indiscrètes pleuvent. Un animateur télé l’interroge notamment avec insistance sur une éventuelle maternité car, affirme-t-il, les Néo-Zélandais, à l’instar des employeurs, ont le droit de connaître « les projets de la femme qu’ils embauchent ». « Inacceptable », réplique vertement Jacinda Ardern. La loi interdit ce type de questions discriminatoires. Fin du débat.

En réalité, l’élue pense qu’il lui sera difficile de concevoir naturellement et le couple a décidé de mettre son rêve d’enfant entre parenthèses le temps d’une bataille électorale considérée comme ingagnable dès lors que la formation de centre gauche est au plus bas dans les sondages. Mais le destin peut être facétieux. Moins de deux mois plus tard, non seulement la charismatique jeune femme, qui a séduit l’électorat par sa spontanéité, est en position de prendre la direction du pays si elle parvient à former une coalition avec Winston Peters, le chef du parti populiste Nouvelle-Zélande d’abord, mais elle attend aussi son premier enfant.

« Nous nous sommes demandé comment les gens allaient réagir », reconnaît à présent cette fille de mormons. Etonnamment bien. Beaucoup de Néo-Zélandais applaudissent la responsable pour le « magnifique exemple » qu’elle offre à toutes les petites filles du pays – le premier à avoir accordé le droit de vote aux femmes, en 1893 – en leur prouvant que l’on peut accéder aux plus hautes fonctions sans renoncer à fonder une famille. « Cela décrit bien le type de pays que nous sommes et pouvons être : moderne, avant-gardiste, ouvert et qui offre les mêmes chances à tous », s’enorgueillit le dirigeant Vert James Shaw.

« Joignable et disponible » pendant le congé maternité

Au milieu des messages de félicitations, les voix discordantes, qui s’interrogent notamment sur les capacités de l’élue « non mariée » à diriger la nation « alors que, privée de sommeil, elle aura les hormones en ébullition », sont relativement rares. La plupart s’inquiètent surtout à l’idée que le vice-premier ministre, le franc-tireur populiste Winston Peters, conduise l’exécutif pendant les six semaines de congé maternité. Jacinda Ardern, déterminée à donner un vernis de normalité à une situation inédite, a d’ores et déjà précisé qu’elle serait constamment « joignable et disponible ». « Je ne suis pas la première femme à faire plusieurs choses en même temps », martèle la travailliste, qui ne « sous-estime pas les difficultés ».

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Pour la seconder au quotidien, son partenaire, le présentateur télé et grand amateur de pêche Clarke Gayford, deviendra père au foyer à plein temps sous les encouragements de ses concitoyens qui, mi-admiratifs, mi-goguenards, l’ont immédiatement abreuvé de conseils plus ou moins avisés. Le « premier compagnon » et « le premier bébé » seront également de la plupart des déplacements officiels. Jacinda Ardern a prévu d’allaiter.