Le président du mouvement séparatiste anglophone au Cameroun, Sisiku Ayuk Tabe, détenu au Nigeria depuis le 5 janvier, a été extradé lundi 29 janvier à Yaoundé avec quarante-six de ses partisans, a affirmé le ministre camerounais de la communication, Issa Tchiroma Bakary.

« Un groupe de quarante-sept terroristes [parmi lesquels se trouve] M. Ayuk Tabe, se trouve depuis quelques heures entre les mains de la justice camerounaise », a indiqué M. Tchiroma dans une déclaration à la presse. Les quarante-sept séparatistes étaient détenus au Nigeria, a précisé le ministre à l’AFP. « Ils répondront de leurs crimes » devant la justice camerounaise, a souligné le ministre, réaffirmant la « détermination » du Nigeria et du Cameroun « à ne jamais tolérer que leurs territoires servent de base à des activités de déstabilisation dirigées contre l’un d’entre eux ».

Début janvier, le leader des indépendantistes camerounais, Sisiku Ayuk Tabe, et neuf de ses partisans avaient été arrêtés au Nigeria, où ils étaient depuis « détenus au secret », selon leur avocat et l’ONG Amnesty International. Il n’était pas possible lundi de déterminer quand ont été arrêtés les autres séparatistes extradés depuis le Nigeria vers le Cameroun. Mi-janvier, Amnesty International s’était inquiétée du sort des séparatistes détenus au Nigeria, estimant qu’ils « pourraient être menacés de torture et [s’exposer à un] procès inéquitable » s’ils étaient extradés du Nigeria.

L’émergence d’une « insurrection armée »

Sisiku Ayuk Tabe milite pour que les deux régions anglophones du Cameroun se séparent de la partie francophone du pays. Le 1er octobre 2017, le mouvement avait publié une déclaration symbolique d’indépendance de l’Ambazonie, nom donné par les séparatistes à leur projet de pays.

Depuis plusieurs mois, l’armée camerounaise a déployé des forces dans les deux régions anglophones pour contrecarrer des attaques de séparatistes présumés, de plus en plus nombreuses, faisant craindre l’émergence d’une « insurrection armée » dans la région. Dans le même temps, le président Paul Biya et les autorités ont accru la pression sécuritaire dans les régions anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest.

« Depuis l’arrestation des leaders séparatistes au Nigeria, il y a une dégradation sécuritaire et une multiplication des fronts entre séparatistes et l’armée camerounaise », expliquait fin janvier à l’AFP Hans De Marie Heungoup, chercheur au centre d’analyse International Crisis Group (ICG).

Selon un décompte de l’AFP, établi sur la base des déclarations officielles, dix-neuf militaires et policiers ont été tués depuis novembre 2017, tandis que les réseaux sociaux pro-anglophones diffusent des photos de civils tués et de villages mis à sac par l’armée – sans qu’il soit possible d’en vérifier l’authenticité.

Fin janvier, une bombe artisanale a explosé au passage d’un véhicule de l’armée camerounaise à Ekok, non loin de la frontière nigériane, faisant deux blessés. C’était la première fois qu’un tel mode opératoire était utilisé sur une route des régions anglophones camerounaises. Nombre d’hommes politiques anglophones dénoncent depuis début 2018 des « actes arbitraires [tueries, destructions de maison] » de l’armée camerounaise en zones anglophones.

Le Cameroun se prépare à des élections – dont la présidentielle – fin 2018. Selon les observateurs, la profonde crise sociopolitique que Yaoundé traverse dans ses régions anglophones pourrait perturber ces scrutins.