Top 10 Paradis fiscaux 2018 / Le Monde

Une liste noire des paradis fiscaux, avec des critères objectifs et pas de tractations secrètes de dernière minute ? Loin de celle controversée dressée par l’Union européenne, où il ne reste plus que neuf pays, l’association Tax Justice Network (TJN) réalise la sienne tous les deux ans, passant à la loupe cent douze juridictions. Publiée mardi 30 janvier, elle classe une nouvelle fois en tête la Suisse, suivie des Etats-Unis et des îles Caïmans.

« Contrairement à d’autres, la liste n’est pas fondée sur des décisions politiques », tacle TJN. L’Europe n’est donc pas exemptée : le Luxembourg est à la 6e place, juste devant l’Allemagne, tandis que Guernesey est à la 10e place. Trois juridictions asiatiques se retrouvent aussi dans le Top 10, avec Hongkong, Singapour et Taïwan.

L’une des principales leçons de ce classement est la montée en puissance des Etats-Unis. Classés 6e en 2013, puis 3e en 2015, les voilà désormais à la 2e place. « Et si cela continue, il est bien possible qu’ils se retrouvent en tête lors du prochain classement », estime John Christensen, le président de TJN. En cause : le choix politique des Etats-Unis de lutter fermement contre les paradis fiscaux à l’étranger, tout en se montrant très laxiste chez eux.

« Opacité financière »

L’étude de TJN dépasse les simples paradis fiscaux pour se concentrer sur le concept plus large de « l’opacité financière » des pays. Le calcul combine deux indices : la transparence d’une juridiction (échange automatique de données ou pas, existence d’un registre des bénéficiaires des entreprises ou pas, etc.) et la taille de son secteur financier. En mélangeant les deux, TJN mesure l’impact mondial du pays sur la finance douteuse (criminalité financière, évasion fiscale, blanchiment d’argent…).

En ne prenant que la première mesure, les paradis fiscaux les plus fermés sont Vanuatu, Antigua-et-Barbuda et les Bahamas. Mais, en intégrant leur importance dans la finance mondiale, la Suisse (4,5 % des flux financiers internationaux) et les Etats-Unis (22,3 %) passent en tête.

Pour la Suisse, TJN reconnaît que de vrais efforts ont été faits, mais estime que ceux-ci sont partiels et lents. Côté positif, le pays a accepté de se joindre à l’accord d’échange automatique de données mis en place par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Cette mesure, clé de voûte de la lutte contre l’évasion fiscale, est appliquée par la Confédération Helvétique depuis le début de l’année. Concrètement, cela signifie que si un Français possède un compte en Suisse (déclaré ou pas), les autorités françaises devront être mises au courant automatiquement, sans avoir besoin de le demander.

Approche à deux vitesses

Problème, d’après TJN, la Suisse a choisi une approche à deux vitesses : une coopération exemplaire avec les pays occidentaux, mais une vraie hésitation à échanger des données automatiquement avec les pays émergents. C’est ce que l’association surnomme l’approche « zèbre » : « de l’argent propre, blanc, pour les pays riches et puissants ; de l’argent sale, noir, pour les pays vulnérables et en voie de développement ».

Si la Suisse est l’histoire d’un progrès insuffisant, les Etats-Unis représentent en revanche une situation qui s’aggrave. Selon TJN, la stratégie américaine se résume ainsi : « se défendre contre les paradis fiscaux étrangers, tout en étant un paradis fiscal pour les étrangers ».

Au cœur de cette approche unilatérale se trouve le refus des Américains de se joindre à l’échange automatique de données de l’OCDE. Washington estime qu’elle n’en a pas besoin, puisqu’elle a sa propre législation, en vigueur depuis 2014, fondée sur le même principe, le FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act). Le bémol : cette loi est profondément déséquilibrée, forçant les pays étrangers à envoyer toutes les informations qu’ils ont sur les ressortissants américains, mais se montrant très avare pour informer sur les ressortissants étrangers qui ont des comptes aux Etats-Unis.

Coopération avec les pays émergents 

Résultat, les institutions financières américaines en profitent pour chasser les clients, particulièrement dans les pays émergents. « Elles ont mis en place un marketing très agressif à l’international, insistant sur le fait que le FATCA n’est pas réciproque », explique M. Christensen.

Visiblement, ça marche : la part de marché des Etats-Unis dans les flux financiers internationaux est passée de 19,6 % en 2016 à 22,3 % aujourd’hui. A cela s’ajoute l’attitude des Etats du Delaware, du Wyoming et du Nevada, qui permettent d’enregistrer des entreprises prête-noms et des trusts complètement anonymes extrêmement facilement. « Là-bas, c’est le Far West », estime M. Christensen.

Le classement est enfin peu tendre envers l’Allemagne, qui traîne les pieds à Bruxelles pour éviter la mise en place d’un registre des bénéficiaires des véhicules financiers, et qui hésite à signer des accords d’échange automatique de données avec les pays émergents. Quant au Royaume-Uni, son bon score (23e place, juste devant la France à la 25e place), s’explique parce qu’il est pris de façon isolée, loin de ses dépendances et de ses territoires d’outre-mer semi-autonomes : « la duplicité est flagrante », conclut M. Christensen.

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