Vladimir Poutine et Donald Trump au sommet de l’APEC, à Danang, au Vietnam, le 11 novembre 2017. / Jorge Silva / AP

Comment définir cette liste ? Les Etats-Unis n’ont pas instauré de nouvelles sanctions contre la Russie mais le Trésor américain a publié peu avant minuit, lundi 29 janvier, un long inventaire, nominatif, de personnalités russes proches du pouvoir et susceptibles de répondre, si besoin était, aux critères. Cent quatorze responsables politiques ou chefs d’entreprises publiques et quatre-vingt-seize oligarques, soit tous ceux qui comptent en Russie, sont ainsi désignés comme peu fréquentables. Le premier ministre Dmitri Medvedev, le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov, ou le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, y figurent, tout comme Arkadi Voloj, le patron de Yandex, le Google russe, ou Oleg Deripaska, l’un des industriels russes les plus puissants. Autrement dit une « liste Poutine ».

« Ces personnes peuvent être considérées comme toxiques », relève Alan Kartachkine, du cabinet Debevoise & Plimpton à Moscou, cité par le quotidien économique russe Vedomosti. « Même si les sanctions ne les menacent pas immédiatement, ajoute l’avocat, une attention particulière leur sera portée, ainsi qu’à leurs familles et à leurs relations d’affaires. Les problèmes peuvent commencer à l’ouverture de comptes, ou lors de transactions. » Seule la présidente de la Banque centrale de Russie, Elvira Nabioullina, semble épargnée.

L’absence de sanctions n’est donc qu’un demi-soulagement pour les proches du président russe et les oligarques, dont certains ont mené jusqu’au bout de secrètes actions de lobbying pour tenter de s’extraire de cette liste. Mais tout le monde y est, y compris le chef du Conseil des droits de l’homme auprès du président Vladimir Poutine, Mikhaïl Fedotov, ou le patron de Sberbank, la première banque russe, Guerman Gref. Parmi les oligarques, sélectionnés d’après leur poids financier, à partir d’un milliard de dollars, on trouve Roman Abramovitch et Mikhaïl Prokhorov, qui ont pris leurs distances avec M. Poutine.

« Cela donne l’impression que les services secrets américains, désespérés de trouver les preuves d’un “kompromat” [documents compromettants] qu’ils ont promis aux politiciens russes, ont juste copié le Bottin du Kremlin », a réagi sur son compte Facebook le sénateur Konstantin Kosatchev, président de la commission des affaires étrangères du Conseil de la fédération russe. « C’est vraiment sérieux, et pour longtemps, a-t-il poursuivi. La paranoïa politique est très difficile à traiter, surtout quand le patient ne reconnaît pas la pathologie et refuse le traitement. »

Plus d’illusions

Aux Etats-Unis, la date limite pour introduire de nouvelles sanctions contre la Russie avait été fixée au 29 janvier dans le cadre de la loi « Countering America’s Adversaries Through sanctions » (Caatsa, « riposter aux adversaires des Etats-Unis par les sanctions »), adoptée à l’été 2017 à une écrasante majorité par le Congrès américain et promulguée à contrecœur par Donald Trump. Cette loi, prise en réaction aux accusations d’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine, devait être complétée par une liste visant tout particulièrement ceux ayant un lien avec le secteur de la défense et les renseignements russes, ainsi que des oligarques. Elle s’avère bien plus large, mais pour autant l’administration américaine a préféré temporiser avant de passer à l’étape des sanctions.

« Nous avons indiqué aujourd’hui au Congrès que cette législation et sa mise en œuvre pénalisent les ventes de l’industrie russe de la défense, a souligné dans un communiqué Heather Nauert, porte-parole du département d’Etat. Depuis cette loi, les gouvernements étrangers ont, selon nous, renoncé à des projets d’achat représentant plusieurs milliards de dollars pour la défense russe. De ce point de vue, puisque la loi fonctionne, des sanctions visant des entités ou des individus en particulier ne seront pas utiles. »

Les relations bilatérales russo-américaines continuent ainsi à se détériorer et, passé le premier moment de jubilation après la défaite des démocrates à la Maison Blanche, Moscou ne se fait plus d’illusions. Alors qu’il imputait systématiquement, jusqu’à présent, la responsabilité des tensions à l’ex-administration Obama, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a pour la première fois mis sur son successeur sur le même plan. « L’administration Trump est l’héritière de l’administration Obama », avait-il lancé le 15 janvier en présentant son bilan de l’année écoulée.