AUREL

Nutella et couches-culottes, même combat. Une nouvelle fois, Intermarché a défrayé la chronique avec ses promotions de grandes marques bradées à 70 %. La mise en rayon de paquets Pampers, mardi 30 janvier, a provoqué le même scénario que la vente à prix cassé des pots de pâte à tartiner de 950 grammes, quelques jours plus tôt. Bousculades, voire batailles, ont éclaté dans plusieurs magasins. Même si la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) va enquêter pour vérifier si l’enseigne n’a pas revendu ces produits à perte, Intermarché a réussi son « coup de com ». Une opération dont le calendrier ne doit rien au hasard.

Le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, doit, en effet, présenter en conseil des ministres, mercredi 31 janvier, son projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans la filière agroalimentaire ». Or, l’un des volets porte justement sur l’encadrement des promotions et sur le seuil de revente à perte. Ce texte législatif, Emmanuel Macron l’avait promis lors d’un discours prononcé à Rungis (Val-de-Marne), le 11 octobre, à mi-parcours des Etats généraux de l’alimentation. Le chef de l’Etat en avait cité l’un des objectifs prioritaires : mettre fin à la guerre des prix que se livrent les grandes enseignes de distribution, destructrice de valeur pour tous et source de prix non rémunérateurs pour les agriculteurs.

« Pas de recette miracle »

La première mission du projet de loi, son ambition économique revendiquée, est donc de mieux répartir la valeur dans la chaîne alimentaire et d’assurer un revenu décent aux agriculteurs. Près de 10 articles sur 17 sont consacrés à cette question délicate. « Nous n’avons pas de recette miracle. Sinon d’autres avant nous l’auraient trouvée », prévient-on au ministère de l’agriculture.

Les deux mesures les plus discutées sont celle de la revalorisation du seuil de revente à perte, c’est-à-dire du prix en dessous duquel un distributeur a l’interdiction de commercialiser un produit, et celle de l’encadrement des promotions. Le gouvernement a décidé de prendre ces deux mesures par ordonnance dans les six mois suivant la publication de la loi, pour une durée test de deux ans. Il a choisi de revaloriser de 10 % le seuil de revente à perte, ce qui revient à ajouter le coût logistique au prix d’achat du produit, pour les denrées alimentaires. Et d’encadrer en valeur et en volume les promotions. Sans en dire plus pour l’instant. Le cadrage politique avait fixé les limites à 34 % en valeur et à 25 % en volume. Ce qui aboutirait à autoriser les offres du type « un produit gratuit pour deux achetés », mais à interdire celles du type « un gratuit pour un acheté ». Reste à savoir comment cela se traduira concrètement dans l’ordonnance.

Des pressions intenses dans les box de négociation

Dans l’ensemble, les distributeurs se montrent plutôt satisfaits des deux principales mesures contenues dans le texte, qui « permettra de redonner du pouvoir d’achat aux agriculteurs en construisant les prix en partant du coût de production et non pas du prix de revient », note-t-on à la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). En effet, l’autre grand enjeu du projet de loi est d’inverser la construction du prix, en partant du coût de production de l’agriculteur. Le texte donne aux interprofessions la mission de définir les coûts de production et les indicateurs de marché qui seront intégrés dans les contrats et incite les agriculteurs à se regrouper au sein d’organisations de producteurs. Il prévoit des clauses de renégociation dans un délai d’un mois en cas de forte hausse des matières premières agricoles et renforce le pouvoir du médiateur et les sanctions. Il entend également se pencher sur les relations entre les coopératives et ses membres.

M. Macron s’était engagé à ce que le texte soit adopté avant la fin du premier semestre. Avec ses ordonnances et ses décrets, il devrait s’appliquer pour les négociations commerciales entre distributeurs et industriels qui débuteront en novembre 2018. Pour celles qui sont en cours, malgré les déclarations de bonnes intentions lors des Etats généraux de l’alimentation fin 2017 et la signature d’une charte d’engagement mi-novembre, les pratiques habituelles entre marques et enseignes continuent pendant la période de négociations qui doit s’achever à la fin du mois de février : hausses de tarifs déconnectées des évolutions des matières premières, pressions de certaines enseignes de distribution dans les box de négociation d’une telle intensité que les médecins du travail auraient déconseillé aux femmes enceintes d’y participer…

De son côté, la FCD a cette année, pour la première fois, compilé les hausses de tarifs demandées par les industriels pour les négociations commerciales en cours adressées à ses adhérents. A mi-janvier, elle constatait des demandes de hausse de prix qu’elle considère « très élevées », de 4 % à 5 % en moyenne sur ses enseignes, sur l’ensemble des produits de grande consommation, avec des propositions d’augmentation allant jusqu’à 15 % sur les vins et les champagnes, et jusqu’à 11 % sur les pâtes, « alors que l’indice de production du blé dur a reculé de 7 % depuis un an », explique-t-on à la FCD.

« Des gamins dans la cour de récréation »

Les acteurs ont été réunis sur « le déroulement des négociations commerciales pour l’année 2018 » le 19 janvier au ministère de l’agriculture, à l’initiative de Stéphane Travert et de la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie, Delphine Gény-Stephann, pour un « gentil petit rappel à l’ordre après la signature des engagements à la suite des Etats généraux de l’alimentation », d’après un participant. Lors de ses vœux aux agriculteurs, jeudi 25 janvier, M. Macron a tapé du poing sur la table, menaçant de dénoncer auprès du grand public ceux qui ne respecteraient pas les bonnes pratiques. Une nouvelle réunion à Bercy est prévue dans les prochains jours. « On dirait des gamins dans la cour de récréation, sans cesse en train de dire à la maîtresse : “C’est lui qui est méchant”. Au bout d’un moment, la maîtresse en aura marre et mettra tout le monde au coin », constate un distributeur.

En attendant, la tension continue de monter. Des agriculteurs bretons ont mené des actions dans des supermarchés. Mardi 30 janvier, le syndicat agricole FNSEA, les coopératives représentées par Coop de France, l’ANIA, bras armé de l’industrie agroalimentaire, et l’ILEC, le syndicat des grandes marques, ont appelé l’Etat à faire respecter la loi et les engagements. Ils accusent « la grande distribution de mettre sciemment en péril la filière alimentaire française ». L’opération de communication d’Intermarché relance la guerre des prix, même si les produits bradés ne dépendent d’aucune filière agricole française… Comme chaque année, la DGCCRF pourrait à nouveau sortir le carton rouge en épinglant une enseigne sur la place publique. En 2017, elle avait assigné juste avant la fin de la période de négociations, en février, le groupe Casino.

Guerre des prix : les mesures prévues par le projet de loi sur l’agroalimentaire

Le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans la filière agroalimentaire » comporte plusieurs mesures destinées à mieux répartir la valeur dans la chaîne alimentaire et d’assurer un revenu décent aux agriculteurs :

  • Inversion de la construction du prix payé aux agriculteurs en s’appuyant sur les coûts de production. Contrat et prix sont proposés par le vendeur
  • Relèvement du seuil de revente à perte de 10 % et encadrement des promotions
  • Réouverture facilitée des négociations en cas d’évolution des coûts de production
  • Renforcement de la lutte contre les prix abusivement bas
  • Renforcement de la médiation et élargissement des missions des interprofessions agricoles