Presque deux ans après les premières révélations sur les dépenses de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) sous la direction de Mathieu Gallet, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a décidé, mercredi 31 janvier, de « retirer son mandat au président de Radio France », à compter du 1er mars 2018. Retour sur les événements.

  • Avril 2015 : le « Canard enchaîné » épingle les dépenses de l’INA

Le 1er avril, le Canard enchaîné publie des révélations sur les dépenses de Mathieu Gallet, ancien directeur général de l’INA et patron de Radio France (depuis 2014).

L’hebdomadaire avance que le dirigeant a engagé entre 2010 et 2014 (durée de son passage à l’INA) six cabinets de consultants pour près de 800 000 euros de contrats passés sans mise en concurrence. Le Canard enchaîné dit s’appuyer sur les premières conclusions d’une mission de l’Inspection générale des finances, saisie par le ministère de la culture.

L’intéressé répond immédiatement aux révélations de l’hebdomadaire, assurant que les contrats cités ont « fait l’objet de procédures de mise en concurrence, conformément à la législation applicable et aux règles internes de l’Institut ». Il demande à « l’INA, qui dispose de tous les éléments à ce sujet, de bien vouloir apporter le démenti le plus ferme à ces allégations ».

  • Mai 2015 : Anticor porte plainte

L’association d’élus et de citoyens luttant contre la corruption Anticor porte plainte contre X au parquet de Créteil (Val-de-Marne) pour « favoritisme », à la suite de ces révélations. La plainte concerne également l’ancienne PDG de l’institut, Agnès Saal, épinglée pour ses dépenses de taxi. Selon l’avocat d’Anticor, Jérôme Karsenti :

« Pour un établissement financé en majeure partie par le contribuable, il y a une totale désinvolture, voire plus, sur la gestion de l’argent public à un moment où l’Etat se doit d’être exemplaire. »
  • Juin 2015 : ouverture d’une enquête pour « favoritisme »

Après un début de présidence mouvementé à Radio France, et deux mois après les révélations du Canard enchaîné sur les contrats passés à l’INA, la justice s’empare du dossier. Le 2 juin 2015, le parquet de Créteil ouvre une enquête préliminaire pour « favoritisme » sur « des contrats passés entre 2010 et 2014 » par M. Gallet lorsqu’il était en charge de l’INA.

Selon les informations du Monde, le ministère de la culture a enquêté et transmis au parquet une « série d’éléments (…) susceptibles d’être irréguliers ». Ces éléments recoupent ceux déjà publiés par Le Canard enchaîné et d’autres révélés par une note du Contrôle général économique et financier (CGEFI), un service de Bercy, datée du 10 avril, et pointant des « dysfonctionnements et irrégularités ».

  • Novembre 2017 : le procès

Le procès de Mathieu Gallet s’ouvre le 16 novembre 2017. Deux contrats sont visés par la justice : l’un avec le cabinet Roland Berger (2013), l’autre avec la société Balises (septembre 2012-juin 2014).

Pour le premier, un appel d’offres a été passé, mais le marché a été suivi d’un avenant puis d’un « marché complémentaire », pour une somme totale de 290 000 euros, qui aurait pu justifier une procédure « d’appel d’offres européen ».

Selon l’accusation, l’INA a « saucissonné » le marché (en le découpant par lots ne dépassant pas le seuil requérant un appel d’offres européen) pour éviter cette procédure plus contraignante, et le confier à Roland Berger, qui avait déjà travaillé pour l’INA en 2010.

Le second contrat, passé pour un total de 130 000 euros – en moins de deux ans – avec Balises, la société du consultant Denis Pingaud, n’a pas fait l’objet d’un appel d’offres.

A l’issue de l’audience, le parquet requiert dix-huit mois de prison avec sursis et 40 000 euros d’amende. M. Gallet plaide la méconnaissance des « questions de marché public ». La défense tente également d’obtenir la nullité de la procédure, accusant la procureure de s’être montrée « partiale », et mettant en avant des erreurs. Les avocats portent par ailleurs plainte contre le parquet de Créteil pour violation du secret de l’enquête.

  • Janvier 2018 : Mathieu Gallet, condamné, exclut de démissionner

Le tribunal condamne Mathieu Gallet, lundi 15 janvier, à un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende. La défense de M. Gallet, Me Christophe Ingrain, annonce immédiatement sa volonté de faire appel du jugement, et souligne la « présomption d’innocence (…) jusqu’à la décision de la cour d’appel ».

« Nous faisons immédiatement appel pour que la cour examine ce dossier avec sérénité et dans le respect des droits de la défense. Compte tenu des conditions dans lesquelles l’enquête et l’audience se sont déroulées, la décision du tribunal n’est pas une surprise. »

La question de la démission du président de Radio France se pose alors. La ministre de la culture, Françoise Nyssen, mentionne le « devoir d’exemplarité » des dirigeants d’entreprises publiques et en appelle au CSA. L’avocat de Mathieu Gallet assure que ce dernier « exclut de démissionner ».

Selon la loi de novembre 2013 sur l’indépendance de l’audiovisuel public, « le mandat des présidents […] peut leur être retiré, par décision motivée » du CSA, « à la majorité ».