Nolan Bushnell, lors de la Games Developers Conference de 2011. / Max Photography for GDC Online / Creative Commons Attribution 2.

Le « père du jeu vidéo », comme il se présentait lui-même dans les années 1970, ne recevra peut-être pas le Pioneer Award, prestigieux prix récompensant un apport décisif à l’histoire de cette industrie. UBM, la société organisatrice de la Game Developers Conference (GDC), le plus prestigieux rassemblement annuel de l’industrie, a déclaré, mercredi 31 janvier, au site américain Rolling Stone être en train de réexaminer l’attribution à Nolan Bushnell, fondateur d’Atari et producteur de Pong (1972), du prix du pionnier.

Depuis l’annonce la veille de sa nomination, de très nombreuses voix dans l’industrie, notamment aux Etats-Unis, se sont élevées pour protester contre ce choix, après que plusieurs anecdotes illustrant son management à caractère sexiste ont refait surface. « On peut dire que la culture toxique de la Silicon Valley a débuté chez Atari sous Bushnell », a notamment tweeté Brianna Wu, ingénieure logicielle féministe, aujourd’hui en lice pour l’investiture démocrate à la chambre des représentants.

Celle-ci rappelle que, selon plusieurs livres d’histoire du jeu vidéo, citant des anecdotes souvent rapportées par Nolan Bushnell lui-même, le fondateur d’Atari tenait ses réunions dans des Jacuzzis, dans lesquels les dirigeants invitaient les employées avec lesquelles ils souhaitaient coucher, en leur demandant de se déshabiller devant les autres hommes présents. Les noms de code donnés aux jeux en interne étaient des prénoms d’employées jugées les plus désirables, à l’image de la console Home Pong, surnommée « Darlene ».

L’un des premiers jeux originaux de l’entreprise, Gotcha, une sorte de jeu du chat et de la souris, est présenté dans les affiches promotionnelles comme un homme poursuivant une femme (« gotcha ! » signifie « je t’ai attrapée ! »). Sur le meuble contenant l’écran et l’interface pour jouer, le joystick a été remplacé par de faux seins, que le joueur doit prendre dans sa main et incliner pour manier son personnage.

Publicité pour le jeu « Gotcha », en 1973. / Atari

Un prix pour les pionnières oubliées proposé

Sous le mot-dièse #NotNolan, la game designeuse Jen Allaway s’interroge : « UBM, pouvez-vous m’expliquer pourquoi, l’année de #metoo, vous voudriez donner le prix du pionnier à Nolan Bushnell ? »

Gillian Smith, professeure assistante au Worcester Polytechnic Institute, s’appuie également sur plusieurs extraits de livres et d’entretiens publiés. Dans l’un d’eux, l’entrepreneur raconte l’Age d’or d’Atari entre 1976 et 1983.

« Nous traitions nos programmeurs comme de mini-dieux. Nous leur avons donné les meilleurs bureaux isolés. On a installé un Jacuzzi dans l’immeuble des ingénieurs. Nous avons embauché les plus belles secrétaires pour ce département. »

Dans un autre passage, celui qui invite la presse dans une maison avec matelas à eau et bibliothèque érotique s’interroge :

« Certaines femmes se sentent à l’aise avec moi, et d’autres non. Je trouve que l’aura du pouvoir et de l’argent est très intimidant pour un nombre effrayant de femmes. »

Nolan Bushnell ne s’est pas exprimé depuis la polémique. Dans l’un de ses derniers tweets, daté de novembre dernier, l’entrepreneur vantait la méritocratie : « l’audace et la persévérance triomphent de l’intelligence, des classes sociales, du sexe et de la couleur de peau. C’est ce qui nous place tous à égalité. Le succès est pour ceux qui n’abandonnent jamais ni ne rejettent la faute sur personne. »

En réaction au choix initial des organisateurs de la GDC, plusieurs observatrices ont proposé un prix collectif pour les pionnières méconnues et longtemps occultées de l’industrie, comme Dona Bailey (Centipede), Roberta Williams (la série King’s Quest), ou encore Jane Jensen (Gabriel Knight).

Nolan Bushnell a longtemps été considéré comme le père et l’inventeur des jeux vidéo, en raison du succès commercial de Pong. Il avait eu l’idée de ce jeu de tennis lors de la présentation aux professionnels, quelque mois plus tôt, d’un programme similaire pour la Magnavox Odyssey, la première console de l’histoire.