Peter Brötzmann, né en 1941 à Remscheid, et Rotraud Klein-Moquay, née en 1938 à Wustrow. / Frederike Helwig

C’est l’histoire d’une plongée dans le passé, au moment même où la vie la projetait tout entière vers l’avenir. Allemande, Frederike Helwig avait pris ses distances avec son pays natal à la fin des années 1980. A presque 20 ans, la jeune femme était partie s’installer à Londres, et était devenue photographe. Deux décennies plus tard, elle est devenue mère, et c’est là qu’une histoire qu’elle pensait avoir digérée depuis longtemps est revenue la hanter. « En devenant moi-même parent, je me suis interrogée sur les miens. Je regardais mon fils aîné, et je me demandais qui étaient ceux qui deviendraient mes parents au même âge que lui », raconte-t-elle.

Le fil de la transmission rompu

Question intime au départ, quête collective à l’arrivée. Sans doute est-ce la raison pour laquelle Kriegskinder (« les enfants de la guerre »), le beau travail que vient de signer Frederike Helwig avec Anne Waak, parle à chacun avec une si absolue évidence. Quarante-cinq portraits au total, des hommes et des femmes nés en Allemagne à la fin des années 1930 ou au début des années 1940, à l’époque où l’Europe devenait le plus grand cimetière de tous les temps. Ils pourraient être nos parents, nos grands-parents, et ils sont aujourd’hui, comme le rappelle la photographe, « la dernière génération de témoins ayant connu le IIIe Reich ». Témoins au sens plein du terme, innocents des crimes perpétrés, insoupçonnables de quoi que ce soit, à la différence de leurs parents, mais porteurs d’une mémoire unique.

« Je me suis rendu compte que nous avions tous appris cette histoire dans les livres, que d’un point de vue factuel je savais beaucoup de choses, mais que sur le plan émotionnel rien ne m’avait été légué. Comme si la génération de mes parents avait gardé cela pour elle, que le fil de la transmission avait été rompu », explique Frederike Helwig, elle-même née en 1968.

« Ce que nous rappellent ces hommes et ces femmes qui pourraient être de notre famille, c’est que la guerre, le fascisme, l’extrême droite, c’était avant-hier… » Frederike Helwig

Alors, pour retrouver ce lien perdu, la photographe est revenue arpenter l’Allemagne. « On a passé des petites annonces dans des journaux régionaux pour expliquer le projet. Je restais trois jours dans une ville, Dresde, Leipzig, Cologne… Pas mal de gens ont répondu. L’idée était de faire une sorte de documentaire, avec des séances d’environ deux heures chez les gens comprenant un temps pour faire les photos, un autre pour recueillir des souvenirs de leur enfance », raconte-t-elle.

Grâce à ces images et ces mots, Frederike Helwig entend « ouvrir un dialogue avec cette génération après des décennies de silence collectif », car on sent aussi chez elle une inquiétude – même si elle se garde d’employer le mot –, que l’on pourrait qualifier de civique. « Cette période-là paraît bien lointaine aujourd’hui. Et pourtant, ce que nous rappellent ces hommes et ces femmes qui pourraient être de notre famille, c’est que la guerre, le fascisme, l’extrême droite, c’était avant-hier… On a l’impression de vivre aujourd’hui dans un monde apaisé, mais tout cela nous aide à réaliser que c’est très récent et donc très fragile », observe la photographe.

Gisela Zirn, née en 1939 à Dortmund. / Frederike Helwig

« Kriegskinder », de Frederike Helwig et Anne Waak, préface d’Alexandra Senfft, Hatje Cantz, allemand ou anglais, Éditions Hatje Cantz, 2017, 104 p., 35 €. Les toignages ont été traduits de l’anglais par Agnès Rastouil.