Changer deux mots pour que tout change, ou presque (dans l’affichage en tout cas) en ce qui concerne l’égalité hommes-femmes. C’est le sens de la modification apportée aux paroles du Ô Canada, l’hymne national canadien.

Au terme de l’adoption, mercredi 31 janvier, par les sénateurs du projet de loi C-210, intitulé « loi modifiant la loi sur l’hymne national (genre) », ce chant est désormais de genre neutre. Englobant, indifféremment, femmes et hommes.

« In all thy sons command »

devient :

« In all of us command  »

La phrase « True patriot love in all thy sons command », que l’on peut traduire par « L’amour d’un pays emplit le cœur de ses fils qui l’ont bâti », devient ainsi « True patriot love in all of us command » : « L’amour d’un pays emplit le cœur de nous tous qui l’avons bâti ».

Il ne manque plus que la sanction royale et une date d’entrée en vigueur pour que ces changements soient officialisés.

Un hymne plus inclusif et moins discriminatoire ? C’est en tout cas ce que souhaitait Mauril Bélanger, à l’initiative de ce projet de loi. Ce député libéral, mort le 16 août 2016, avait, dès 2015, fait réaliser des sondages dont les résultats indiquaient que plus de la majorité des citoyens canadiens étaient favorables au changement proposé.

« Rendre hommage à la contribution et au sacrifice des femmes canadiennes, comme à ceux des hommes »

L’objet d’un Ô Canada inclusif était de « rendre hommage à la contribution et au sacrifice des femmes canadiennes, comme à ceux des hommes, dans notre hymne national. Il s’agit de souligner que nous contribuons tous, quels que soient notre genre et nos origines, à faire du Canada un pays unique. Je souhaiterais que ce projet de loi soit l’occasion d’un débat respectueux et non partisan se concluant par un vote libre », avait-il déclaré sur ses comptes Facebook et Twitter en mai 2016.

Et le débat a continué. C’est seulement à la troisième lecture à la Chambre des communes, que celui qui militait par souci d’équité entre les hommes et les femmes, a pu avoir le plaisir d’assister au vote éloquent, le 15 juin 2016, de la majorité des députés en faveur de son projet de loi, ainsi renvoyé au Sénat pour examen.

Justin Trudeau est fier

Dans un premier temps, les conservateurs s’y sont toutefois fermement opposés, avant de lâcher prise, et nous y voilà :

Justin Trudeau est fier. Et s’il fallait des preuves pour affirmer qu’en plus d’être féministe, le premier ministre canadien pratique le féminisme. En voilà une.

Bien sûr, qu’il ne s’agit que de deux mots.

Bien sûr que celles et ceux qui chantent l’hymne ne connaissent probablement même pas toutes les paroles. Que cette modification n’aura aucune répercussion sur les paroles de la version française.

Bien sûr que les sénateurs conservateurs sont aussi furieux que les députés l’étaient. Qu’ils menacent déjà de boycotter cette loi, et de poser la question rhétorique à leurs partisans : les libéraux seront-ils toujours dignes de confiance après ça ?

Bien sûr que pour certains internautes, cette décision est une hérésie qui ne représente qu’une perte de temps et de moyens. Qui inquiète sur l’utilisation des impôts.

Faudra-t-il céder à la demande de retrait des références faites à Dieu ?

Que c’est une porte ouverte à toutes les fenêtres : changer ces deux mots, et après quoi ? Faudra-t-il céder à la demande de retrait des références faites à Dieu (« God » ou « Native Land ») ? Changer de drapeau ? Déclarer que le Canada va devenir unisexe et que l’heure est grave ?

Bien sûr que l’hymne n’est pas suffisamment chanté pour que cette loi qui tente de le genrer « correctement » suffise à rendre les hommes et les femmes égaux.

Bien sûr qu’en l’état, l’hymne canadien était déjà « doux à entendre », comparé à « l’hymne à la guerre » américain, comme le jouait si bien cet épisode des Simpsons.

Mais une décision, aussi symbolique soit-elle, ne peut-elle pas s’inscrire dans ce qui contribue à façonner les sociétés ?

« Que l’un [des] symboles nationaux les plus connus et les plus appréciés de la population canadienne reflète les progrès réalisés sous notre union en matière d’égalité entre les hommes et les femmes » était en tout cas d’une importance capitale, sur laquelle insistait Mauril Bélanger, dont le dévouement servira peut-être de legs pour les années à venir.