Le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin lors des questions au gouvernement à l’Assemblée, le 31 janvier. / ALAIN JOCARD / AFP

« Nous avons fortement baissé les impôts des entreprises dans le projet de loi de finances 2018, nous avons fait une loi pour le droit à l’erreur rendant l’administration plus amicale. Il est normal de relever notre niveau de sévérité envers les fraudeurs. » C’est ainsi qu’on justifie, à Matignon, l’annonce d’une loi contre la fraude fiscale, que l’exécutif souhaite voir débattue au Parlement « avant la pause estivale ».

« La lutte contre la délinquance en col blanc nécessite des méthodes plus efficaces », a ainsi affirmé Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, dans une interview au Figaro du jeudi 1er février. Ces annonces étaient plutôt attendues pour la mi-février ou le début du mois de mars, mais le locataire de Bercy, visé par une enquête préliminaire pour « viol » révélée par Le Monde le 27 janvier, a sans doute préféré anticiper sa prise de parole.

Edouard Philippe lui-même avait en partie défloré le sujet quelques heures plus tôt, à l’Assemblée, évoquant son souhait de rendre public les noms des plus gros fraudeurs fiscaux. « Nous souhaitons faire en sorte que les fraudes les plus graves voient les peines et les sanctions prononcées publiées », afin de « dissuader ceux qui veulent s’engager dans ce chemin » avait déclaré le premier ministre lors de la séance de questions au gouvernement, mercredi, en réponse au député (La République en marche) Romain Grau. Il avait aussi précisé vouloir sanctionner « les officines qui font profession de contourner la loi ».

60 et 80 milliards d’euros

Le sujet de la fraude fiscale est de plus en plus sensible, politiquement et médiatiquement, avec la multiplication d’enquêtes comme celle des « Paradise Papers », ou les polémiques liées à la difficulté de recouvrer l’impôt de la part de multinationales opérant en France, comme Google ou AirBnB. Selon les estimations, la fraude fiscale coûterait entre 60 et 80 milliards d’euros par an à l’Etat.

La loi de finances 2018, votée fin décembre, comprenait déjà des sanctions renforcées contre les « grands fraudeurs » fiscaux, permettant de les déchoir de leurs droits civiques, civils et de famille. Et une mission parlementaire vient d’être lancée pour évaluer l’efficacité du « verrou de Bercy », ce monopole que détient l’administration fiscale sur la décision d’engager des poursuites pénales en matière de fraude.

« L’idée [de ce nouveau plan], c’est que tous ceux qui veulent jouer le jeu, on les aide, par exemple avec les rescrits [réponse de l’administration à une entreprise qui s’enquiert de la légalité d’une situation fiscale]. Mais ceux qui essaient d’esquiver le fisc, il faut leur taper dessus assez violemment », décrypte un bon connaisseur du dossier.

Pour ce faire, le gouvernement compte d’une part, lancer un plan d’action, et de l’autre « un véhicule législatif spécifique, co-construit avec la majorité parlementaire ». Cela pourrait prendre la forme soit d’un projet de loi, porté par le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin et/ou la ministre de la justice, Nicole Belloubet, soit d’une proposition de loi.

Exploitation de données

Le plan d’action comprendra quelques mesures positives, comme l’ouverture d’un ou plusieurs guichets de régularisation pour les entreprises « voulant se repentir de pratiques fiscales dont elles ne sont pas fières », explique-t-on à Matignon. Une initiative en ligne avec les propos tenus par M. Darmanin, en juillet : « il vaut mieux un bon accord qu’un mauvais procès », avait-il lancé en ouvrant la porte à une transaction avec le géant Google, dont le redressement fiscal venait d’être annulé par le tribunal administratif. Le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), qui permettait aux contribuables ayant des avoirs non déclarés à l’étranger de régulariser leur situation avec des pénalités réduites, avait, lui, été fermé fin 2017, M. Darmanin promettant à l’époque « des moyens nouveaux ».

Autre disposition : les positions de l’administration fiscale, y compris en cas de rescrits individuels, seront rendues publiques, afin d’être connues et consultables par tous.

Au rang des mesures répressives, l’exécutif souhaite « mieux programmer les contrôles fiscaux, en intensifiant le recours au data mining (exploitation de données) par l’administration », indique Matignon. A cette fin, 15 millions d’euros seront investis en outils d’exploitation de données, issus du budget informatique de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Une trentaine d’agents sera dédiée au sujet.

Concrètement, il s’agira de « mieux trier les fraudeurs potentiels, pour aider le vérificateur local à mieux choisir ses cibles » explique une source. Ces évolutions, véritable « révolution culturelle » pour la majeure partie des administrations de Bercy, iront de pair avec celles de la fonction publique dans son ensemble, impulsées dans le cadre du Comité action publique 2022.

Mises sur écoute ou des gardes à vue

La réponse pénale à la fraude passera, elle, par un renforcement de la police fiscale, au niveau du ministère de l’intérieur, à l’échelon central et territorial, afin que la police judiciaire ait une meilleure expertise pour traiter la délinquance financière et notamment la fraude. Côté Bercy, une « police fiscale » devrait être créée, sous la forme d’un nouveau service de police judiciaire de quelques dizaines d’agents, sous l’autorité d’un magistrat et pouvant être saisis par lui. « Il s’agira d’une équipe qui se consacrera aux investigations en utilisant les pouvoirs de police judiciaire » indique Matignon. Elle pourra procéder à des mises sur écoute ou des gardes à vue, pouvoirs dont ne dispose pas aujourd’hui l’administration fiscale. « L’idée, c’est d’accroître les compétences pour des dossiers complexes, qu’il s’agisse de fraude fiscale pure, ou de fraude qui se mélange aux trafics et au banditisme » précise-t-on à Matignon. Le parquet national financier pourra décider de confier des investigations à ce service.

Le « plaider coupable » sera également étendu à la fraude fiscale, afin que les peines puissent être décidées plus rapidement au pénal. Les amendes pénales à l’encontre des personnes morales seront alourdies.

Enfin, comme indiqué par M. Philippe à l’Assemblée, le gouvernement souhaite étendre à la fraude fiscale la pratique du « name and shame » anglo-saxonne, qui consiste à pointer du doigt les comportements répréhensibles. Cela consisterait à rendre publiques les peines prononcées par le juge pénal à l’encontre des entreprises et des particuliers. Mais aussi à donner ce pouvoir, pour les fraudes les plus graves, à l’administration, pour l’heure soumise au secret fiscal. L’exécutif souhaite également mieux cibler les complices de fraude, avocats, banquiers, experts-comptables ou conseils, en leur infligeant des amendes en proportion du profit réalisé.

Quel impact aurait la fraude fiscale dans la vraie vie ?
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