Pour la psychiatre Alexia Delbreil, « la famille est un milieu clos, avec sa propre dynamique intime qui crée diverses motivations à l’origine d’un passage à l’acte violent ». Sur la photographie, Jonathann Daval, le 2 novembre 2017, lors d’une conférence de presse. / SEBASTIEN BOZON / AFP

Trois mois après avoir relaté que sa femme n’était pas revenue d’un jogging, Jonathann Daval a reconnu, mardi 30 janvier, avoir tué Alexia Daval un soir d’octobre 2017. L’un de ses avocats, Randall Schwerdorffer, a assuré, avant même la communication officielle de la procureure de la République de Besançon, que son client, qui a étranglé sa femme, avait agi par « accident » et a également présenté celui-ci comme un homme accablé par la « personnalité écrasante » de sa femme.

Cette ligne de défense a suscité de vives réactions. La secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa a ainsi jugé « proprement scandaleux » de mettre en avant la « personnalité écrasante » d’Alexia Daval, et demandant « d’arrêter de trouver des excuses » aux meurtres des femmes.

La psychiatre et médecin légiste attachée au CHU de Poitiers, Alexia Delbreil est une spécialiste des meurtres conjugaux. Elle décrypte cette affaire.

Le soir des aveux, l’avocat de Jonathann Daval a expliqué que ce dernier avait « dit que c’était un accident ». Est-ce un argument auquel vous êtes fréquemment confrontée dans les cas de meurtre conjugal ?

La théorie de l’accident revient régulièrement. Et bien souvent avant que des preuves viennent prouver l’intention de donner la mort. Il est vrai, cela dit que, à la manière de ce qu’a pu déclarer Jonathann Daval, la personne qui a porté le coup peut réellement se vivre comme victime. Et ce sentiment peut être mis en avant et être renforcé par la stratégie de défense de l’avocat.

Me Randall Schwerdorffer a présenté son client comme un homme « écrasé ». Est-ce une situation que vous avez déjà rencontrée ?

Le cas de figure où le geste meurtrier d’un homme sur sa femme est motivé par le fait d’être écrasé ou dévalorisé dans une relation n’est pas le cas le plus fréquent. Cela peut exister. Cependant on retrouve plus généralement des passages à l’acte violents dans des moments où l’auteur perd la maîtrise de la relation conjugale. Par exemple lorsque la compagne souhaite partir ou avoir plus d’indépendance. Ces situations, souvent vécues comme des abandons, provoquent du désespoir et aussi de la colère.

Les déclarations de Jonathann Daval démontrent une posture victimaire, comme s’il voulait faire porter une partie de la responsabilité du meurtre sur sa femme, ce que Marlène Schiappa a décrit comme du « victim blaming ». Est-ce courant ?

Le retournement de la responsabilité (victim blaming) du meurtre arrive, je dirais, dans un cas sur deux. Parce que, évidement, il reste difficile de passer du rôle de mari éploré à celui de meurtrier. C’est un point de défense compliqué à tenir, qui ici est relayé par les avocats, ce qui ne veut pas dire que cela excuse le passage à l’acte.

La défense du meurtrier est très souvent fondée là-dessus ; les meurtriers essayent de diminuer leur responsabilité. Il est très difficile de savoir, dans ce type de dossier, ce qui s’est passé précisément dans la vie du couple. Et c’est, là aussi, un point qui reste difficile à éclairer, lorsque la conjointe est tuée, car elle n’est pas là pour donner sa version des faits, ce qui permet d’en faire une stratégie de défense.

Dans les cas où les victimes de tentatives de meurtre sont présentes pour donner leur version et expliquer ce qui a pu se passer, on retrouve beaucoup moins cette stratégie de défense.

De nombreuses personnes ont mis en avant, sur les réseaux sociaux notamment, un nouveau cas de « féminicide ». Cette dénomination vous paraît-elle adaptée dans le cas du meurtre d’Alexia Daval ?

Je ne suis pas partisane du mot « féminicide », qui est très en vogue actuellement. C’est un mot qui a une connotation militante plus que scientifique ou criminologique. Le féminicide correspond au fait de tuer une femme parce qu’elle est une femme. Cela ne suffit pas à définir l’homicide au sein du couple où il existe bien d’autres enjeux. Je ne pense pas que cela s’applique sur ce cas.

Plus de 80 % des victimes de meurtres conjugaux sont des femmes, mais un meurtre dans la cellule familiale est particulier. La famille est un milieu clos, avec sa propre dynamique intime qui crée diverses motivations à l’origine d’un passage à l’acte violent. Cette dynamique intime n’intervient pas dans tous les féminicides. L’homicide conjugal est une entité particulière.

L’affaire avait été présentée au début, et cela parce que c’était aussi la version de Jonathann Daval, comme le « meurtre d’une joggeuse ». Cette appellation a eu une forte résonance. Peut-on parler d’un « mythe » de la joggeuse assassinée ?

On entend par meurtre d’une joggeuse le fait d’agresser ou de tuer une femme en train de faire son activité sportive, en l’occurrence un jogging. Mais cette agression intervient dans un milieu extérieur, par une personne inconnue.

Ce cas reste extrêmement rare, en dix ans j’en ai vu deux. On n’est évidement pas dans ce cas-là. C’est effectivement une version qui était plus facile à faire croire au départ, parce que lorsque l’on a un meurtre de ce type-là c’est relayé dans la presse, on en parle beaucoup. Donc, quelque part, oui il y a un mythe de la joggeuse. Mais en réalité c’est un cas qui se présente rarement. On sort du cadre de la réalité pour entrer dans celui du fantasme.

Comment comprendre le fait que Jonathann Daval ait nié en bloc le meurtre de sa femme, jusqu’à participer aux battues pour la retrouver et faire plusieurs apparitions médiatiques ?

On retrouve assez souvent ce type de comportement chez des auteurs de meurtre qui tentent de dissimuler leur crime. Ils s’affichent beaucoup, sont sur le devant de la scène. Pour ces personnes, ce comportement peut les amener à croire que cela va les disculper.

M. Daval a reconnu avoir tué Alexia Daval, mais son avocat a déclaré qu’il n’avait « jamais essayé de mettre le feu au corps d’Alexia » qui a été retrouvé brûlé. Comment analyser ce type de comportement ?

Cette posture, je l’ai vue chez tous les types de criminels : accepter de reconnaître certains actes mais pas d’autres. Des éléments qui restent sans réponse, alors que comparés au crime ils sont assez anodins et n’alourdiraient pas la peine du criminel.

Ce qui peut également arriver c’est que certaines personnes se trouvent dans un déni d’explications, dans une absence de souvenir sur un moment précis du crime. Ils n’abordent alors pas leur culpabilité sur ces points-là. Mais ces positions, parfois totalement incohérentes, sont risquées. Et il est alors impossible de donner des explications à la famille de la victime, et des questions restent sans réponse.