Raila Odinga lors de sa fausse cérémonie d’investiture, à Nairobi, le 30 janvier. / LUIS TATO / AFP

La Haute Cour de justice du Kenya a ordonné, jeudi 1er février, le rétablissement de l’antenne des trois principales chaînes de télévision privées, bloquées sur ordre du gouvernement depuis deux jours. Mardi en milieu de matinée, l’Etat avait fait couper net la diffusion des principales chaînes d’informations privées, NTV, KTN News et Citizen TV, qui filmaient une manifestation de l’opposition.

Le rassemblement, dans le centre de Nairobi, de l’opposition kényane pour investir symboliquement « président du Kenya » son leader, Raila Odinga, qui refuse de reconnaître la réélection du président Uhuru Kenyatta en 2017, s’est déroulé sans incidents, alors que les forces de police sont restées à bonne distance. Depuis des semaines, cet événement faisait craindre des affrontements voire des bavures de la police, rendue responsable de la majorité des 92 morts – selon des défenseurs des droits de l’homme – recensés au cours des élections de 2017. Mais le gouvernement s’en est pris aux médias qui, bravant les menaces de perdre leur licence, couvraient l’événement.

Depuis, ces chaînes de télévision sont restées inaccessibles, sauf sur Internet. Un ordre venu du ministre de l’intérieur, Fred Matiang’i, le temps de procéder à une enquête sur « le rôle de certains éléments de la communauté des médias qui ont participé à la promotion d’une tentative de déstabiliser ou de renverser le gouvernement », a-t-il déclaré mercredi.

Dans le même temps, des journalistes ont fait part de menaces et d’intimations directes. Ainsi, rapporte l’AFP, des salariés de NTV ont passé la nuit retranchés dans leur bureau mercredi soir, ayant été alertés que des policiers en civil les attendaient à l’extérieur pour les arrêter.

Rempart contre les dérives

La coupure brutale des diffusions a créé un choc. Le Kenya se voyait comme un avant-poste de la liberté d’expression dans une région où les régimes autoritaires dominent. « Où va le Kenya ? », s’est ému le célèbre militant Boniface Mwangi dans un Tweet, accompagné d’un dessin de presse où l’on voit un bus aux couleurs du pays se diriger vers un précipice. « Cela nous ramène plus de quinze ans en arrière, à la période Daniel Arap Moi [président de 1978 à 2002], où il n’y avait aucune liberté de la presse, déplore l’avocat Isaac Okero, président de la Law Society of Kenya (LSK). Ironiquement, ce coup est porté par un exécutif [le président Kenyatta et son vice-président William Ruto] qui s’était fait surnommer le “digital duo” pour afficher sa modernité. »

Saisie en urgence par la société civile, la Haute Cour de justice a ordonné la reprise de la diffusion, le temps que soit menée l’enquête. Le jugement n’était pas encore appliqué vendredi matin, mais cinq mois après la décision historique de la Cour suprême d’invalider le résultat de l’élection présidentielle du mois d’août, il dresse de nouveau la justice kényane en rempart contre les dérives. « C’est une excellente nouvelle. Une fois de plus, notre justice démontre son rôle de garante de la Constitution et de l’Etat de droit », se félicite Isaac Okero. L’avocat note cependant que cette décision ne clôt pas cette inquiétante séquence : si elle ordonne le rétablissement des antennes, elle ne met pas fin à l’enquête en cours contre les médias.