Tariq Ramadan à Bordeaux le 26 mars 2016. / MEHDI FEDOUACH / AFP

Tariq Ramadan a été déféré au parquet de Paris en vue d’une mise en examen, vendredi 2 février, à l’issue de quarante-huit heures de garde à vue.

Les enquêteurs du deuxième district de police judiciaire ont enquêté pendant trois mois, méthodiquement et sans laisser échapper la moindre information, avant de se décider à entendre, à partir de mercredi 31 janvier, ce Suisse de 55 ans qui a longtemps disposé d’une très large audience auprès de centaines de milliers de musulmans européens. Après avoir reçu deux plaintes pour viol, l’une déposée le 20 octobre 2017 par Henda Ayari, une ancienne salafiste devenue militante de la laïcité, l’autre le 27 octobre par une femme qui a préféré rester anonyme mais dont Le Monde avait publié le témoignage accablant, les policiers ont recueilli d’autres récits de femmes. Elles ont décrit la même forme d’emprise, la même violence et, selon un proche de l’enquête, « le même modus operandi » que celui dénoncé par les plaignantes, sans pour autant déposer plainte à leur tour.

Jeudi, Henda Ayari, qui subit depuis trois mois de nombreuses attaques sur les réseaux sociaux, a refusé la confrontation avec celui qu’elle accuse. Mais l’autre plaignante, que certains journaux ont affublée d’un prénom d’emprunt qu’elle n’a pas choisi, « Christelle », a accepté l’épreuve. La confrontation a duré trois heures et demie, en présence de Me Yacine Bouzrou, avocat de M. Ramadan et de Me Eric Morain, conseil de sa victime présumée. Juste avant, deux perquisitions avaient eu lieu, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) dans un appartement où le théologien dispose d’un bureau et d’un pied à terre, l’autre en Savoie, à la frontière franco-suisse où il possède sa résidence principale.

Une petite cicatrice

« Tariq Ramadan m’a donné rendez-vous au bar de l’hôtel Hilton de Lyon, où il était descendu pour une conférence, en octobre 2009 », a redit cette femme de 45 ans devant le petit-fils du fondateur des Frères musulmans. A l’époque, cette Française convertie à l’islam entretient, depuis le 31 décembre 2008, une correspondance avec M. Ramadan auprès duquel elle cherche conseil, comme nombre de musulmans qui se déplacent pour l’écouter.

Leur relation s’est peu à peu transformée et ce dernier, qui vit séparé de son épouse, lui a promis le mariage religieux et, en attendant, un mariage temporaire sur Skype. C’est leur première rencontre, toutefois. « Au bout de dix minutes, il m’a dit : “Nous ne pouvons pas rester là, tout le monde nous regarde. Je suis une personne connue et le Maghrébin à l’accueil m’a reconnu et n’arrête pas de nous regarder” », avait-elle expliqué dans sa plainte. Tariq Ramadan rejoint alors sa chambre par l’escalier pendant qu’elle, qui marche avec une béquille depuis un accident de voiture, prend l’ascenseur.

L’agression aura lieu très vite après son entrée dans la chambre, selon la plaignante : des gifles au visage, aux bras, aux seins et des coups de poing dans le ventre, une fellation et une sodomie imposées de force, de nouveaux coups, un nouveau viol. « Il m’a traînée par les cheveux dans toute la chambre pour m’amener dans la baignoire de la salle de bain pour m’uriner dessus », avait-elle assuré dans sa plainte, affirmant n’être parvenue à s’enfuir qu’au petit matin.

« Faux », proteste Tariq Ramadan qui affirme que la rencontre n’a duré qu’une demi-heure. Lors de la confrontation, le prédicateur a nié farouchement tout viol et même tout acte sexuel, alors que sa victime présumée donnait cependant des détails, et décrivait notamment une petite cicatrice, dont Ramadan est bien doté. A l’issue de cet échange tendu, l’islamologue a refusé de signer le procès-verbal.

Image écornée

L’affaire qui met en cause cette figure centrale de l’islam européen s’annonce donc difficile. Certes, de multiples témoignages publiés sur Internet ou rapportés par la presse ont peu à peu dressé le portrait d’un homme multipliant les relations féminines, à mille lieux de celui qui mettait sans cesse en garde les musulmans contre les rapports sexuels hors mariage en leur rappelant que c’est « devant Dieu qu’il nous est donné la possibilité de vivre une relation avec une femme ».

En Suisse, les journaux ont rapporté les récits d’anciennes élèves des deux collèges suisses où le petit-fils du fondateur des Frères musulmans avait enseigné. Ces jeunes femmes affirmaient qu’alors qu’elles étaient âgées de 16 à 18 ans, et donc mineures, ils les avaient séduites et convaincues d’avoir des relations sexuelles avec lui.

Même si la plupart de ces affaires sont prescrites ou si aucune autre femme n’a porté plainte, hormi Henda Ayari et « Christelle », ces témoignages ont très largement écorné l’image du prédicateur. Le 7 novembre, l’université d’Oxford a décidé « d’un commun accord » avec Tariq Ramadan la mise en congé immédiate de ce dernier du poste de professeur d’études islamiques contemporaines qu’il occupe dans un de ses collèges. Ces derniers jours, c’est le Qatar, qui finance la chaire de théologie – elle porte le nom de Sa Majesté Hamad Ben Khalifa Al-Thani, émir du Qatar de 1995 à 2013 – occupée jusque-là par M. Ramadan, qui a laissé entendre que celui-ci n’était plus le bienvenu dans l’émirat.