Les policiers néerlandais ont saisi, en 2016, quelque 400 millions d’euros de biens divers, dont 11,5 à Rotterdam. / OLIVIER MIDDENDORP / HH-REA

« On va les déshabiller dans la rue » : la formule de Frank Paauw résume bien le projet
du commissaire en chef de la police de Rotterdam (Pays-Bas).

Il entend, explique-t-il, s’en prendre aux boefjes, les petites frappes qui paradent dans les rues de la ville au volant de voitures un peu trop voyantes, portent des vêtements de luxe et des Rolex dorées. Ou, parfois, ont dans les poches de leur parka Canada Goose quelques milliers d’euros alors qu’ils ne paient pas d’impôts, n’ont pas de travail déclaré ou ont « oublié » de régler des amendes.

« Je sais déjà qui sera visé. Ceux qui ont la peau foncée ou le Turc qui roule souvent dans la belle voiture de son patron. » Paul Vermeijen, avocat

Comment vont s’y prendre les agents spécialement formés pour appliquer cette « méthode antifrimeurs », comme l’ont vite baptisée les journalistes ? En interrogeant les jeunes suspects, potentiels dealers de drogue, « lover boys » qui séduisent des jeunes femmes, avant de les contraindre à se prostituer, ou membres des cercles de jeu clandestins.

S’ils ne peuvent pas prouver qu’ils ont acquis leurs biens de manière licite, ceux-ci seront confisqués, en l’attente d’une décision de justice. Et les personnes appréhendées seront peut-être expédiées derrière les barreaux avec une inculpation pour blanchiment d’argent.

« Donner le signal que le crime ne paie pas »

Imaginé par un membre de la police de proximité, le projet a été négocié par la police avec le parquet de la Ville. Il systématise et étend les pouvoirs dont disposent déjà les policiers néerlandais depuis 2002 et qui leur ont permis de saisir, en 2016, quelque 400 millions d’euros de biens divers – dont 11,5 dans la ville portuaire.

Outre le commissaire Paauw, l’initiative paraît séduire les habitants de Delfshaven, l’un des quartiers chauds de la ville, où des boefjes ont l’habitude de déambuler. Joep Simmelink, professeur de criminologie à l’université de Maastricht, interrogé par le journal NRC Handelsblad, évoque une mesure intéressante car symbolique : « On donne ainsi le signal que le crime ne paie pas. »

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Anne Mieke Zwaneveld, médiatrice de la Ville de Rotterdam, est plus circonspecte. Elle estime que cette chasse aux délinquants comporte un risque de « profilage ethnique ». Jamel, qui travaille au petit magasin du coin et a épargné pour s’acheter sa doudoune matelassée, aura beaucoup plus de (mal) chance de se faire interpeller que Frederik-Jan, qui s’est acheté sa BMW décapotable avec le fruit de ses trafics derrière l’école…

« Plan funeste »

L’avocat pénaliste Paul Vermeijen est, lui aussi, convaincu de l’effet de ce qu’il estime être un « plan funeste ». « Je sais déjà qui sera visé, explique-t-il dans le quotidien Trouw. Ceux qui ont la peau foncée ou le Turc qui roule souvent dans la belle voiture de son patron. »

« Qui, bon sang, se balade dans la rue avec le ticket d’achat de son blouson ? », fulmine un autre expert, tandis qu’un dernier souligne que, même aux Pays-Bas, nul n’est soumis à l’obligation de répondre à la question d’un policier sur l’origine d’un bien, sauf si l’agent démontre qu’il agit dans le cadre d’une enquête bien précise.

Vrais contrôles ou roulements de mécaniques ? Le propos du commissaire Frank Paauw ressemble surtout à un ballon d’essai.