Editorial du « Monde ». Olivier Dussopt va entreprendre de véritables travaux d’Hercule. L’ancien député socialiste, devenu secrétaire d’Etat de l’action et des comptes publics après avoir voté contre le budget 2018, sera en première ligne, sous la houlette du sarkozyste Gérald Darmanin, pour négocier avec les syndicats la réforme de l’Etat. Edouard Philippe a présenté, jeudi 1er février, à l’intention des 5,5 millions de fonctionnaires, le menu de cette transformation de l’action publique « sans totem ni tabou ». Tout y est : rénovation du statut, recours accru aux contractuels, rémunération au mérite, « profonde revue des missions et des dépenses » des administrations. Et, cerise sur le gâteau, mise en œuvre, comme dans les entreprises privées, d’un « plan de départs volontaires » dans le cadre de la réduction de 120 000 postes annoncée par Emmanuel Macron d’ici à 2022.

Quand il était ministre de l’économie, M. Macron avait déjà jeté un pavé dans la mare, en septembre 2015, en jugeant que le statut des fonctionnaires n’était « plus adapté ». Maurice Thorez avait été le père de la loi du 19 octobre 1946 instaurant ce statut. Mais l’œuvre de l’ancien ministre communiste n’a pas été gravée dans le marbre. Elle a été profondément rénovée par l’ordonnance du 4 février 1959. Et un autre ministre communiste, Anicet Le Pors, a, dans la loi du 13 juillet 1983, unifié les trois fonctions publiques – d’Etat, territoriale, hospitalière – et établi un nouveau « statut général de la fonction publique ». Loin d’être rigide, ce code a permis des souplesses, à commencer par le recours à des agents contractuels, aujourd’hui au nombre de 942 000, qui peuvent être de droit public ou de droit privé, avec des contrats à durée déterminée ou indéterminée.

Un langage que ne renierait pas le Medef

M. Macron veut aller plus loin et bousculer la fonction publique, quitte, selon les mots du premier ministre, à « heurter la sensibilité ou les équilibres ». Avec un langage que ne renierait pas le Medef, M. Dussopt veut des administrations « plus véloces, plus agiles et plus armées ». Imaginer un plan de départs volontaires revient à administrer un électrochoc à un patient qui n’est pas prêt à le supporter. Pour autant, une telle innovation n’est pas une hérésie. Mieux vaut un départ volontaire que contraint. Tout dépendra du contenu du dispositif qui sera négocié sur un an. Favorisera-t-il la mobilité entre les trois fonctions publiques ? Les agents désireux de se reconvertir dans le secteur privé pourront-ils passer par la case chômage ? Comment la prime de sortie sera-t-elle calculée ?

Là où le bât blesse, c’est que, à l’opposé de la méthode utilisée pour la formation, l’apprentissage ou l’assurance-chômage, et même la réforme du code du travail, le gouvernement semble avoir déjà tout décidé avant d’ouvrir la concertation. Pour les syndicats, c’est la double peine. On leur a imposé le gel du point d’indice, le retour du jour de carence et inventé une « indemnité compensatrice » à la hausse de la CSG qui nourrit leurs frustrations. Le dialogue social est au point mort. Au régime sec, les fonctionnaires se sentent mal-aimés. Les conflits récents (ou à venir) dans les prisons, les Ehpad ou les hôpitaux ont mis au jour des déficits d’effectifs. Le malaise est profond, alors que des élections professionnelles auront lieu en décembre. Réformer l’Etat est nécessaire. Encore aurait-il fallu au préalable un vrai débat sur le rôle et la place des services publics.