Guy Novès, le 26 janvier à Toulouse, dans le cabinet de son avocat. / ULRICH LEBEUF / MYOP POUR LE MONDE

C’est Guy Novès qui pose les questions. Qui vous prend à témoin, paire de lunettes sur la table, mains en mouvement, visage affecté : « Ils me font quand même passer pour un idiot, ça vous parle, ça ? » Ce pronom désigne la Fédération française de rugby (FFR). En particulier les personnes de Bernard Laporte, son président, et Serge Simon, son vice-président.

Les deux associés ont infligé à l’entraîneur le plus titré du pays un record d’un autre genre : le voilà devenu, depuis le 27 décembre 2017, le premier sélectionneur de l’équipe de France limogé à mi-mandat pour « faute grave ».

Rendez-vous dans le centre-ville de Toulouse chez son avocat, MLaurent Nougarolis. Le prochain « match » se prépare loin de Saint-Denis. Loin de ce Stade de France où les Bleus ouvriront sans lui le Tournoi des six nations, samedi 3 février, contre l’Irlande. « L’honneur d’une personne, quel que soit son statut social, c’est important », insiste l’ancien totem du Stade toulousain, le regard soucieux de vous faire comprendre que ces mots-là sont à prendre au sérieux.

Rupture prématurée de contrat

Guy Novès conteste la légalité de cette rupture prématurée de contrat. Un licenciement sans préavis, sans entretien préalable, bref, sans manière. « Ce ne sont pas mes incompétences qui ont fait qu’on m’a écarté de la fédération », précise-t-il, à quelques mois de cette Coupe du monde 2019 au Japon qu’il avait pour horizon.

La ligne de défense est claire : « Il est constant que M. Bernard Laporte a porté dans le cadre de la campagne électorale qui l’a conduit à la présidence de la FFR, l’information selon laquelle il mettrait fin à l’engagement de M. Guy Novès dès son élection, même s’il a, avant cette échéance, diffusé un message contraire », détaille un communiqué de l’avocat, en date du 15 janvier.

Le duo Laporte-Simon

Quelles preuves, quelles certitudes ? « Vous les aurez, les éléments concrets. » Mais pas maintenant. « Si jamais une procédure est engagée, nous sommes prêts à le prouver. J’ai reçu des centaines de SMS. Une somme énorme de témoignages. Les choses arrivent toutes seules. Certains me témoignent avec sincérité leur amitié, leur respect, leur admiration, d’autres savent des choses importantes. »

Entre le duo Laporte-Simon et Guy Novès, pas la même approche du travail : « Ils sont spécialistes de la communication. Moi, je suis contre la communication, je préfère travailler dans l’ombre et sortir à tout moment comme la vipère ou l’aspic. Quand le Portugal s’est entraîné à Marcoussis [Essonne] pour l’Euro de football, ils ont fait mettre des bâches partout. Nous, non, il fallait communiquer pour les partenaires. »

Pas la peine d’insister, l’ancien professeur d’éducation physique gardera pour lui le motif de la faute grave invoquée dans sa notification de licenciement. Faute qu’il dit incompréhensible.

Le 26 décembre 2017, Bernard Laporte avait appelé Guy Novès. Un jour seulement avant l’officialisation de son éviction, quatre jours déjà après les premières rumeurs annonçant l’arrivée de Jacques Brunel à sa place. « Il n’a pas eu de mots précis, se remémore le Toulousain. Il m’a dit qu’il était embêté, qu’il fallait faire quelque chose, que le rugby français avait de moins en moins de licenciés, que les partenaires n’étaient pas contents. »

« Comment peut-on accorder une certaine valeur à un audit fait par, entre guillemets, la personne qui m’a mis des bâtons dans les roues pendant un an ? » Serge Simon, pour ne pas le nommer

Courant décembre, un audit téléphonique de Serge Simon avec des dirigeants de clubs aurait aussi avancé argument d’un manque de coordination entre le XV de France et les formations du championnat de France. Réplique immédiate : « Quand vous vous déplacez sur un terrain, vous voyez un match, vous passez beaucoup de temps à serrer des mains et à faire des photos, mais les choses passent très vite. Quand vous restez chez vous, vous en voyez plusieurs », commente l’ex-sélectionneur, qui laissait à ses adjoints le soin d’aller auprès des clubs.

Un temps d’arrêt. Nouvelle question de l’interviewé : « Comment peut-on accorder une certaine valeur à un audit fait par, entre guillemets, la personne qui m’a mis des bâtons dans les roues pendant un an ? » Serge Simon, pour ne pas le nommer.

« Conditions tragiques de travail »

Des exemples ? En mars 2017, une manifestation est organisée à Paris pour protester contre la fusion entre le Stade français et le Racing. A quelques jours d’un match du Tournoi des six nations contre les Gallois, les stadistes Djibril Camara et Jonathan Danty demandent la permission de quitter quelques heures le siège de la FFR, à Marcoussis. Novès dit non, mais Simon dit oui. « Qui est le patron des joueurs ? Qui a l’autorité ? Comment voulez-vous que les joueurs ne se disent pas que de toute façon, Guy, il peut dire ou non, on ira voir l’autre ? »

En juin 2017, la France s’effondre en test-match contre l’Afrique du Sud. Serge Simon demande à prendre la parole après le sélectionneur : « J’ai les compétences dans ce domaine, une légitimité auprès des joueurs. Lui n’en a aucune, il arrive de nulle part. Il n’a jamais été dirigeant, jamais président, jamais entraîneur. »

Guy Novès livre un dernier argument pour la route : la tournée de novembre 2017 et ce match intercalé en semaine contre les réservistes de la Nouvelle-Zélande, en partie pour des raisons commerciales, entre deux test-matchs contre les All Blacks et les Sud-Africains. Volonté de Serge Simon, là encore : « Le match de mardi nous a mis en l’air la tournée de novembre. »

Bilan total entre 2016 et 2017 : vingt et un matchs dont treize défaites et un match nul, pour conclure, contre le Japon, soit le pire ratio de l’ère professionnelle pour un sélectionneur du XV de France. Pour quelles responsabilités ? « Quand on met l’accent sur une personne, sachant que cette personne est depuis le début dans des conditions tragiques de travail, je trouve que c’est de la malhonnêteté intellectuelle », objecte Guy Novès.

Dix titres en championnat, quatre en Coupe d’Europe

A bientôt 64 ans, pas encore le temps, assure-t-il, de songer à son futur dans le rugby. En attendant, cette phrase aux interprétations multiples : « On m’a surpris en me débarquant. Pourquoi les autres me feraient des surprises et moi je n’en ferais pas ? »

Ses deux adjoints en équipe de France, Yannick Bru et Jean-Frédéric Dubois, ont également quitté l’ambiance pesante de Marcoussis. Tous deux ont mis un terme à leurs différends avec la « fédé », moyennant indemnisations. Tous deux avaient été convoqués, à l’inverse du sélectionneur, à un entretien préalable.

Guy Novès a rendez-vous le 22 mai avec les représentants de la FFR pour une audience de conciliation devant les prud’hommes de Toulouse. En cas de licenciement jugé abusif, des premières estimations évoquent des indemnités autour de 2 millions d’euros, en additionnant les deux ans de salaires impayés et l’éventuelle somme due aux préjudices moraux. Haussement d’épaules.

« Là, pour le moment on est engagé dans quelque chose de lourd, qui me fatigue énormément, qui m’empêche quelquefois de dormir, qui m’atteint, et je sens que ma famille est touchée. » Vrai, à en juger par le visage de son épouse, également dans la salle.

« Descendez avec moi tout à l’heure, vous verrez. Les gens me connaissent, me reconnaissent, et, à part mes très proches, c’est compliqué de s’imaginer ce qu’ils pensent de moi. » Au Stade toulousain (1988-2015), le manageur les avait bien davantage accoutumés aux hourras : dix titres en championnat de France, quatre en Coupe d’Europe.