Emmanuel Macron, président de la république française, et Macky Sall, président de la république du Sénégal, en visite officielle à Saint-Louis, Sénégal. Samedi 3 février 2018 / ©Jean-Claude Coutausse / Le Monde

Une langue de terre longue de 25 kilomètres, balayée par le vent et encerclée par les eaux. En rouleaux réguliers, les vagues blanches et bleues viennent lécher le béton du quai. Des pans entiers de murs, éventrés, s’enfoncent dans le sable et penchent désormais, désarticulés : encore une maison ou une école perdue pour Guet Ndar, un quartier de pêcheurs de Saint-Louis, village côtier du Sénégal surnommé la « Venise africaine », et ex-tête de pont de la conquête coloniale française au sud du Sahara. En cinquante ans, la mer a gagné plusieurs kilomètres sous les effets du réchauffement climatique dans cette zone située au nord-ouest du pays, l’une des plus peuplées d’Afrique.

Lors du sommet sur le climat (One Planet Summit) qui s’est tenu à Paris le 12 décembre 2017, Emmanuel Macron avait promis de venir à Saint-Louis au maire de l’ancienne capitale sénégalaise Mansour Faye, qui l’avait interpellé sur l’érosion côtière. Chose promise, chose due, a répété le président français en substance à ses interlocuteurs, dont le président du Sénégal Macky Sall, le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim (lui aussi contributeur à hauteur de 24 millions d’euros) et le maire de Saint-Louis. M. Macron leur a annoncé que la France verserait 15 millions d’euros qui serviront à la construction d’une nouvelle digue de rochers censée protéger la ville classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco et qui a vu se multiplier les plans de sauvetage depuis près d’un siècle pour tenter de ralentir la progression des eaux.

Accueil fervent et pêcheurs en détresse

Acclamé, le convoi d’Emmanuel Macron roule au pas dans la rue principale, le long de laquelle se sont postés plusieurs dizaines de milliers d’habitants de cette langue de Barbarie, bande de terre peuplée de 55 000 personnes, dont 30 000 dans le quartier Guet Ndar. Des nuées d’enfants surexcités agitent des drapeaux tricolores dans la poussière, tandis que leurs aînés sifflent, tambourinent sur des djembés ou dressent des pancartes de bienvenue aux deux présidents français et sénégalais, dans une agitation folle et joyeuse.

Bain de foule d’Emmanuel Macron à Saint-Louis, au Sénégal, le 3 février 2018. / ©Jean-Claude Coutausse / Le Monde

Le chef de l’Etat, qui soigne une posture avantageuse de « sauveur de la planète », dans les pas de Jacques Chirac qui s’était lui aussi rendu il y a treize ans à Saint-Louis, salue la foule depuis le toit de sa limousine, aux côtés de son homologue sénégalais, qui en profite pour faire campagne, à un an de la prochaine élection présidentielle. Lui aussi, Emmanuel Macron qui voit se multiplier les fronts intérieurs et qui commence à chuter dans les sondages, jouit de cet accueil enthousiaste. Comme en écho, l’une de ses affiches bleues de campagne a été placardée contre un mur, vestige d’un temps fervent qui semble manquer au jeune président. Qui quitte d’ailleurs sa voiture officielle dès qu’il le peut, multipliant les bains de foule. « S’il le pouvait, il ne ferait que ça, il adore ! », confie un conseiller.

Seules quelques pancartes demandant l’arrêt « des tueries de pêcheurs » viennent ternir cette belle ferveur populaire. L’un d’eux a été tué il y a quelques jours par les garde-côtes mauritaniens sur fond de conflit récurrent entre les deux pays, dont les zones de pêche se touchent. Après l’érosion côtière, ces tensions liées à la pêche sont le deuxième sujet de préoccupation à Saint-Louis. « A cause du réchauffement climatique, les bancs de poissons migrent et se raréfient », soutient le maire adjoint de la ville, Latyr Fall, qui a grandi dans le quartier Guet Ndar. L’élu se souvient qu’autrefois, « il y avait entre un et trois kilomètres entre les digues et les vagues ». « Aujourd’hui, il n’y a plus d’espace, poursuit-il. Chaque année, l’eau avance, avance, avance, jusqu’à faire énormément de dégâts… Si on ne fait rien, la langue de Barbarie disparaîtra dans dix ans, engloutie. »

« C’est ici que se joue notre responsabilité collective »

Accompagné de son épouse Brigitte et de sa conseillère presse Sibeth Ndiaye, originaire du Sénégal, Emmanuel Macron fait une halte dans l’école Abdoulaye Mben Khali, au bord de la mer. L’établissement a perdu huit classes du fait de la montée des eaux. Les élèves ont dû trouver refuge dans une autre école, à une cinquantaine de mètres. Au total, plus de 200 familles ont été déplacées ces dernières années, chassées par la mer. A terme, ce sont près de 10 000 qui devront être relogées.

Juste à côté, sur le quai de pêche de Guet Ndar, des paniers tressés, des caisses et des filets sont entreposés sous l’ancien marché couvert, en partie dévasté par la mer. « Je ne suis pas seulement venu pour voir mais pour dire que la France va investir à vos côtés », lance plus tard le président sous un chapiteau dressé sur la place Faidherbe, dans le centre historique de Saint-Louis. « Nous avons vu l’érosion côtière, la peur, les murs qui tombent, l’activité économique détruite et la ville qui peu à peu recule devant ce que certains parfois veulent encore nier », a-t-il résumé. Plus tôt dans l’école, il a évoqué devant ses interlocuteurs « Donald » (Trump), semblant souhaiter que le président américain, climatosceptique, vienne à Saint-Louis se rendre compte par lui-même de la réalité des enjeux. « C’est ici que se joue notre responsabilité collective, celle de gagner cette bataille contre les réchauffements et les dérèglements climatiques », a-t-il résumé, un brin exalté, dans la chaleur soudaine de cette journée d’hiver.

Le chef de l’Etat, qui a repris l’avion pour Paris en milieu d’après-midi après une visite de deux jours au Sénégal, devait revenir sur terre dès mardi avec un déplacement délicat en Corse.