Chronique. En novembre 2017, le président djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, a été reçu à Pékin en grande pompe par le président chinois. Mais derrière les déclarations officielles et la signature d’un « partenariat stratégique », Xi Jinping a tenu aussi à rappeler que les investissements chinois à Djibouti étaient une source d’inquiétudes pour son gouvernement.

Le président djiboutien a beau louer à longueur de discours la relation privilégiée qu’il a nouée avec la Chine, la réalité du terrain est toute autre. Lenteur administrative, pagaille politique, corruption à tous les étages, sans compter les crises environnantes au Yémen, au Soudan et en Somalie… La zone n’est pas aisée pour faire du commerce, mais elle reste vitale pour le transit des matières premières – et surtout de pétrole – entre l’Afrique et la Chine.

Des contrats annulés

Le torchon est-il en train de brûler ? Les entreprises chinoises qui espéraient décrocher des contrats dans la zone commencent à déchanter. Ainsi, les travaux des deux nouveaux aéroports confiés à China Civil Engineering Construction Corporation (CCECC) sont remis en cause. Celui d’Ali Sabieh, la deuxième ville de Djibouti, devait compter deux pistes d’atterrissage, avec la capacité de traiter 600 000 tonnes de fret par an. Le second devait quant à lui desservir le détroit de Bab-el-Mandeb, une zone stratégique pour le commerce international et pour la Chine.

Mais les deux contrats signés par CCECC en janvier 2015 ont été brutalement remis en cause. La raison de la brouille n’est pas claire, personne ne souhaitant évidemment commenter, ni côté chinois, ni côté djiboutien. Electricité, transport, logistique… Les contrats sont tous plus ou moins remis en cause les uns après les autres, et rien n’est vraiment acquis pour les entreprises chinoises, qui apprennent sur le terrain la dure réalité des négociations dans une zone rongée par la corruption et les conflits politiques.

Selon Africa Intelligence, l’exaspération des Chinois a atteint son comble lorsque le président Ismaïl Omar Guelleh est revenu sur sa promesse de leur laisser le monopole des zones franches dans le pays, ouvrant ainsi le jeu à des groupes indiens et émiratis. Une concurrence que vit très mal Pékin, qui pensait écraser tout le monde grâce à sa puissance militaire et financière et à ce fameux « partenariat stratégique ». Mais le jeu national est beaucoup plus complexe.

10 000 soldats chinois

En janvier, l’ambassadeur de Chine à Djibouti, Fu Huaquiang, a présenté à Ismaïl Omar Guelleh un message de « mécontentement » du gouvernement chinois. De son côté, Djibouti s’agace de l’attitude hautaine de la Chine, dont les militaires sont beaucoup plus nombreux que prévus sur son territoire. On parle de 10 000 soldats dans la base forteresse inaugurée par Pékin en août 2017, où les exercices de l’armée populaire sont impressionnants, notamment avec ses blindés de types 095 et 90-II, les plus modernes jamais utilisés en Afrique.

Ismaïl Omar Guelleh a même fait part de son désarroi à Paris. Lors de sa rencontre avec le président François Hollande il y a tout juste un an, il s’est inquiété ouvertement de la présence beaucoup plus massive que prévue de soldats chinois. Selon les comptes rendus des entretiens, le président djiboutien a également révélé lors de ce tête-à-tête que la location du terrain par l’armée chinoise venait en déduction de la dette contractée par Djibouti envers la Chine, qui détient 60 % de la dette djiboutienne.

Le président Guelleh joue gros dans cette affaire. S’il veut rester l’enfant chéri du président chinois, il va devoir très vite remettre un peu d’ordre dans les dossiers, alors qu’Américains et Français espèrent calmer les ardeurs chinoises dans leur jardin. La base américaine de Camp Lemonnier est en effet à une encablure de la base chinoise, et jamais les soldats des deux pays n’ont été aussi près les uns des autres.

Solution de rechange

La Chine a beaucoup misé sur Djibouti et sa position stratégique dans la Corne de l’Afrique. En cinq ans, Pékin a injecté quelque 14 milliards de dollars (11 milliards d’euros) dans l’économie djiboutienne. On parlait même de l’émergence d’un Dubaï africain, mais l’affaire pourrait tourner court.

« Djibouti n’est que le début d’une nouvelle ère pour la Chine. Il s’agit avant tout de protéger ses intérêts commerciaux, nous explique Benjamin Barton, professeur de relations internationales à l’Université de Kuala Lumpur. Jusque-là, la Chine n’avait accès à aucun port militaire dans la région. Un navire chinois est même resté 134 jours en mer faute de port d’accueil. Autre problème, on l’a vu avec la Libye et le Yémen, la capacité de la Chine à évacuer ses expatriés en cas de guerre ou de crise grave. Les attachés de défense chinois en Afrique ont eu beaucoup de difficultés à trouver des solutions logistiques pour évacuer leurs concitoyens. La Chine a donc besoin d’un pied-à-terre permanent dans la région. »

Mais Djibouti n’est peut-être finalement pas le plan idéal et Pékin est déjà en train de chercher une solution de rechange. Les négociations ont repris activement avec la Namibie pour construire une deuxième base militaire en Afrique, à Walvis Bay. Plus au nord aussi, Pékin cherche à placer ses pions entre l’Egypte, la Syrie et le Yémen. Une implantation à Oman est également envisagée par l’Armée populaire de libération, mais aussi par l’armée indienne, ce qui promet d’accroître encore les tensions entre les deux géants asiatiques. Plus à l’est, on parle d’une base militaire chinoise au Pakistan, alors qu’une autre vient d’être confirmée en Afghanistan. Un cordon sanitaire, en quelque sorte, qui permettrait à Pékin de sécuriser entièrement ses routes de la soie maritimes entre la Chine et l’Afrique.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.