Alors que le Tchad est paralysé depuis fin janvier par une grève générale dans la fonction publique, les appels à manifester se multiplient. Une nouvelle marche pacifique dans les rues de N’Djamena et des autres grandes villes du pays est prévue, mardi 6 février, pour protester contre les coupes imposées au traitement des fonctionnaires, la hausse du prix des carburants et l’augmentation des frais de scolarité dans les universités.

Un collectif d’artistes et d’associations de la société civile appelle pour sa part à faire du 8 février un « jeudi de la colère » pour « dire non à la gestion clanique, aux exactions des agents de l’ANS [Agence nationale de sécurité], à l’appauvrissement programmé de la majorité et à l’enrichissement insolent et hors normes de la minorité ».

Mardi, la mobilisation sera conduite par une coalition de partis de l’opposition décidés à braver l’interdiction de manifester. « Les Tchadiens ont droit à de meilleures conditions de vie. Nous demandons au gouvernement de surseoir aux mesures d’austérité qui mettent en péril la stabilité du pays », explique le député Djimet Clément Bagaou, membre du Cadre de concertation des partis politiques de l’opposition démocratique (CCPPOD), signataire de l’appel.

Dimanche, l’archevêque de N’Djamena, Edmond Goetbé Djitangar, s’est à son tour inquiété d’« une crise sociale interminable qui semble entretenue et qui fait descendre le plus grand nombre de nos concitoyens dans les profondeurs de la misère ». Le prélat a déploré « une escalade marquée par des menaces, des durcissements voire l’indifférence » et a réaffirmé que l’Eglise se tient aux côtés « de celles et de ceux qui souffrent ».

Levée de boucliers des syndicats

Depuis l’effondrement en 2014 des prix du pétrole, dont l’Etat tchadien tire l’essentiel de ses ressources, le pays traverse une crise économique qui a conduit le gouvernement à imposer une violente cure d’austérité. Seize mesures d’urgence ont été annoncées en octobre 2016, dont la suppression de 50 % des primes et des indemnités que perçoivent les fonctionnaires en sus de leur salaire de base.

Début janvier, le gouvernement a voulu aller plus loin en s’attaquant directement au socle de la rémunération, avant de se rétracter face à la levée de boucliers des organisations syndicales. La fonction publique civile et militaire emploie environ 150 000 personnes, soit près de trois fois plus que tout le secteur privé formel.

Reste que pour rentrer dans les clous du budget 2018, dont le respect est une des conditions au soutien financier du Fonds monétaire international (FMI), le ministère des finances doit trouver 30 milliards de francs CFA d’économies (45,7 millions d’euros) sur la masse salariale annuelle.

Ce n’est pas la seule condition au déblocage de la facilité de crédit de 312 millions de dollars (250 millions d’euros) sur trois ans signée en juin avec l’institution financière. Le FMI exige que N’Djamena finalise la renégociation de sa dette avec le courtier anglo-suisse de matières premières Glencore : plus de 2 milliards de dollars contractés entre 2013 et 2014, dont 1,4 milliard de dollars pour racheter la participation de l’américain Chevron dans le consortium composé avec ExxonMobil et Petronas pour les champs pétroliers de Doba, dans le sud du pays. Mais les négociations avec la multinationale continuent d’achopper sur des points importants, selon une source proche du gouvernement.

Si les salaires de janvier ont été payés, rien n’assure qu’ils pourront l’être en février. « Nous sommes très inquiets, admet un diplomate en poste au Tchad. On pensait sortir de la crise après l’accord conclu avec le FMI. Mais rien ne s’est passé comme prévu. » La Banque mondiale et l’Union européenne (UE), dans le sillage du FMI, ont également suspendu leur aide budgétaire.

« Où est passé l’argent du pétrole ? »

Les syndicats demandent que le gouvernement envisage d’autres mesures pour sortir de la crise. Le ministre des finances et du budget Abdoulaye Sabre Fadoul en a accepté le principe et s’ est engagé à poursuivre des négociations pour y parvenir. « Il existe un audit de la fonction publique qui montre que des économies sont possibles en supprimant tous les revenus indûment perçus par certains. Mais il s’agit souvent de militants du parti au pouvoir et il n’existe aucune volonté politique de mettre fin à ce favoritisme », avance Michel Barka, président de l’Union des syndicats du Tchad (UST). Un audit financé par l’UE a établi que des fonctionnaires perçoivent plusieurs fois leur traitement. D’autres, grâce à de faux diplômes, touchent des rémunérations supérieures à leur qualification, et certains morts ou retraités continueraient à émarger sur le budget de l’Etat.

L’UST soutient l’appel à la marche pacifique lancé par les partis d’opposition. Tout comme le mouvement citoyen Iyina (« On est fatigué », en arabe), qui entend lui aussi passer outre l’arrêté interdisant aux Tchadiens de manifester. « La Constitution nous donne le droit de descendre dans la rue pour exprimer pacifiquement notre colère. Le 25 janvier, nous avons été refoulés à coups de gaz lacrymogène et de canon à eau chaude. Mais nous allons continuer car la situation est catastrophique, prévient Alain Kemba Didah, porte-parole du mouvement. Nous ne pouvons accepter que certains vivent dans l’opulence quand d’autres n’ont même pas un repas par jour. Où est passé l’argent du pétrole ? »

Comme la plupart des jeunes de son âge, Alain Kemba Didah, 23 ans, est un diplômé sans emploi. Les étudiants ne sont pas les derniers à participer au mouvement de contestation contre Idriss Deby Itno, au pouvoir depuis 1990. Privés de cours, de petits groupes ont mené plusieurs opérations de caillassage contre des bâtiments et des véhicules officiels. La capitale est pourtant, comme à son habitude lorsque la grogne sociale se réveille, fermement quadrillée par les forces de police et militaires. Et chacun sait que le régime n’a aucune clémence pour ses opposants.

Samedi, Iyina avait organisé une réunion de commémoration pour le 10e anniversaire de la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, le président du Parti pour les libertés et le développement (PLD), enlevé à son domicile de N’Djamena par des militaires de la garde présidentielle le 3 février 2008.