Mariama Chipkaou a gardé de son passé de leader syndicaliste une ferme poigne et un certain franc-parler. Aujourd’hui directrice de la promotion de la scolarisation des filles au ministère nigérien de l’enseignement primaire, elle reconnait sans détour : « La question de l’éducation des filles a été posée depuis l’indépendance, mais on ne progresse pas assez vite. »

De fait, au Niger, les filles restent en retard sur les garçons tout au long de leur scolarité. Selon le Partenariat mondial pour l’éducation, en 2015, seules 62,2 % des filles ont terminé l’école primaire, contre 75,5 % des garçons ; le taux d’achèvement du premier cycle du secondaire s’élevait quant à lui à 13 % pour les filles, contre 18 % pour les garçons.

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Si les donateurs étrangers ont multiplié les initiatives sur le sujet, leur action est restée inefficace, selon Mariama Chipkaou, « faute d’intervention à grande échelle ». Et du côté de l’Etat, malgré l’intention politique annoncée, il n’y a presque rien sur la ligne budgétaire dévolue à la scolarisation des filles.

« Il y a quand même eu une amélioration des indicateurs quand on a commencé à mettre en œuvre le Programme décennal de développement de l’éducation, en 2003. Les taux bruts se sont beaucoup améliorés, observe la directrice de la promotion de la scolarisation des filles. Mais l’écart persiste. Les filles abandonnent massivement au primaire et leur nombre ne cesse de s’amenuiser ensuite. Pour qu’on capte le dividende démographique, il faut qu’un maximum de filles et de femmes franchissent le cap du collège. »

Mariama Chipkaou poursuit sur le plan gouvernemental pour les cinq prochaines années : « Nous avons une stratégie d’accélération. Il nous faut organiser les partenaires pour que toutes les interventions convergent vers la réduction de l’écart filles-garçons. » La porte d’entrée, pour elle, ce sont les filles et les mères, à qui elle veut s’adresser en priorité : « Je suis en train de redynamiser les associations de mères éducatrices, qui ont été intégrées dans les comités de gestion des écoles. »

Infographie "Le Monde"

Soutien aux familles

« Depuis plus de dix ans, on cherche un texte juridique qui sécurise les filles à l’école », explique Mariama Chipkaou. En 2012, un projet de loi en ce sens a été abandonné sous la pression d’associations musulmanes, puis « les juristes ont dit que ce contenu ne requérait pas une nouvelle loi et qu’il suffisait de faire un décret d’application de la loi sur l’éducation ».

Le 5 décembre 2017, le conseil des ministres a donc adopté un décret portant sur « la protection, le soutien et l’accompagnement de la jeune fille en cours de scolarité ». Dans ce texte, l’Etat prend plusieurs engagements : mettre en place des programmes d’alphabétisation et d’autonomisation des filles et femmes non scolarisées ou déscolarisées ; fournir une assistance aux parents ou aux autres personnes ayant la charge de la jeune fille scolarisée ; ouvrir des internats et des cantines ; attribuer des rations alimentaires et des bourses ; créer des structures de veille, d’écoute et de soutien, ainsi que des dispositifs en faveur des jeunes filles en décrochage scolaire ; remettre des prix d’encouragement en faveur des plus méritantes.

Le soutien aux familles « peut consister soit en un appui matériel », indique le décret, « soit en un appui psychologique ou toute autre forme d’appui de nature à encourager une scolarité normale ». Le 23 décembre 2017, à Niamey, le président français, Emmanuel Macron, a de son côté annoncé une aide de 10 millions d’euros pour inciter les familles à scolariser les filles. Selon l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), cette somme servira notamment au versement d’allocations aux familles maintenant leurs filles jusqu’en 4e et 3e.

La classe africaine : état de l’éducation en Afrique
Durée : 01:56

Mariages précoces

Enfin, le texte affirme que « les chefs d’établissement, les parents, les membres des structures de gestion des établissements scolaires ainsi que toute personne informée sont tenus de dénoncer tout acte susceptible de compromettre la scolarité de la jeune fille et d’informer immédiatement les autorités compétences de la survenance de tels actes ».

Un bémol cependant : le mot « mariage » n’est écrit nulle part. C’est pourtant de cela qu’il s’agit, car beaucoup de filles sont retirées de l’école pour être mariées. Le mariage est un sujet très sensible au Niger, le concubinage étant assimilé à la débauche et les familles craignant par-dessus tout la survenue de grossesses hors mariage. Résultat : trois filles sur quatre sont mariées avant 18 ans et un tiers d’entre elles avant 15 ans (âge légal pour les filles). Le Niger est le pays qui connaît la plus haute prévalence de mariages précoces (75 %, contre 37 % en Afrique subsaharienne).

Sommaire de notre série La classe africaine

Présentation de notre série : La classe africaine

De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.