Editorial du « Monde ». Soyons clairs : il n’y a pas eu de camps de la mort polonais pendant la deuxième guerre mondiale, il y a eu des camps d’extermination allemands en Pologne. Ces camps, dans lesquels ont été tués des millions de juifs et des centaines de milliers de non-juifs ont été créés et dirigés par l’Allemagne nazie sur le territoire de la Pologne occupée. Contrairement à d’autres pays de l’Europe occupée, comme la France, l’Etat polonais n’a pas collaboré avec le IIIe Reich. Il n’y a pas eu de participation de l’Etat polonais à la Shoah.

Voilà pour les vérités historiques. La situation géographique des camps d’Auschwitz-Birkenau ou de Majdanek a souvent conduit à cette confusion sémantique d’autant plus blessante pour les Polonais que leur pays a perdu près de 30 % de sa population dans la deuxième guerre mondiale – proportionnellement plus que toute autre nation engagée dans le conflit : 6 millions de Polonais, dont la moitié étaient juifs, ont disparu. Barack Obama lui-même a dû s’excuser, en 2012, pour avoir employé l’expression « camps de la mort polonais » en décorant à titre posthume le résistant polonais Jan Karski qui avait, en vain, tenté d’alerter les Alliés de l’existence de ces camps et de l’extermination systématique des juifs qui s’y déroulait. Ni Roosevelt ni Churchill ne voulurent l’entendre.

Emotion

Pourquoi, alors, le projet de loi adopté la semaine dernière par le Parlement polonais, punissant d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison toute personne qui « attribue à la République de Pologne et à la nation polonaise, publiquement et contrairement à la réalité des faits, la responsabilité ou la coresponsabilité de crimes nazis perpétrés par le IIIe Reich allemand », suscite-t-il tant d’émotion ? Ce vote a provoqué de fortes réactions en Israël, et l’administration américaine, pourtant solide alliée du gouvernement polonais actuel, a demandé à Varsovie de reconsidérer le texte « au vu de l’impact qu’il pourrait avoir sur le principe de liberté d’expression » et sur les relations polono-américaines.

Ce projet de loi est condamnable parce qu’il limite le travail des historiens et des journalistes, ainsi dissuadés de s’intéresser à ce qui pourrait les emmener sur le terrain d’une participation de Polonais aux crimes de l’Occupation. Au-delà de l’utilisation de l’expression « camps de la mort polonais », la formulation des chefs d’accusation est suffisamment large pour permettre une interprétation extensive et abusive de toute discussion du rôle, par exemple, de citoyens polonais dans des pogroms commis pendant la guerre.

Le texte participe de la volonté du gouvernement polonais, dirigé par le parti nationaliste Droit et Justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski, de réécrire l’Histoire en un récit dans lequel la Pologne ne serait qu’héroïque et martyre. Cette même tentation est à l’origine du détournement, en 2017, de la mission du Musée de la deuxième guerre mondiale, à Gdansk, jugé trop universaliste et pas assez polonais.

Il rompt, enfin, avec une évolution notable, depuis une douzaine d’années, qui a conduit les Polonais à regarder en face la longue et complexe histoire des juifs en Pologne, consacrée par l’ouverture en 2013 d’un remarquable musée à Varsovie, saluée en Israël. Le projet de loi attend la signature du président Andrzej Duda pour être promulgué. M. Duda rendrait un grand service à la Pologne en résistant aux injonctions de M. Kaczynski et en refusant de le signer.