Elles sont infirmières, agent d’entretien ou médecin de garde aux urgences. Entre 2009 et 2012, une dizaine de femmes ont accusé le docteur F. K. de harcèlement ou d’agression sexuelle. Lundi 5 février, lors de son procès à Dunkerque (Nord), ce chirurgien du centre hospitalier de la ville n’a reconnu aucun des faits qui lui étaient reprochés. Sa ligne de défense : la parole des victimes aurait été « travestie ou manipulée » pour permettre l’éviction du praticien d’origine togolaise au casier judiciaire vierge.

L’affaire a éclaté bien avant le scandale Harvey Weinstein. A l’été 2013, une altercation a lieu au bloc opératoire entre le docteur F. K. et un cadre de santé. « Il a des sautes d’humeur coutumiers, et un jour il en viendra aux mains », lance un cadre administratif. « Il en est déjà venu aux mains », répond une infirmière.

Le groupement de coopération sanitaire du centre hospitalier transmet un rapport au commissariat de Grande-Synthe qui ouvre une enquête préliminaire. Une infirmière raconte la drague, lourde, et ses propositions de « palpation de seins ». Une autre, elle, s’est retrouvée seule avec le médecin dans le vestiaire mixte. « Il est arrivé derrière moi, il a voulu m’embrasser, je l’ai violemment repoussé. » Une dernière évoque des « frôlements de mains, de bras », cette insistance pour « aller plus loin » et les appels téléphoniques. Alors elle l’a menacé d’aller voir la direction et tout est rentré dans l’ordre.

Les plaintes de ces femmes ont abouti à un non-lieu partiel pour prescription. Mais comme ­celles-ci concernaient des faits survenus entre juin 2010 et ­décembre 2012, elles ont permis le placement sous contrôle judiciaire du chirurgien dès août 2013. Après plus de quatre longues années d’enquête, le procès pour agression sexuelle par personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction s’est ouvert en correctionnelle.

Une réputation de « chaud lapin »

Malheureusement, il n’y a pas eu de confrontation lundi entre ces cinq femmes et ce professionnel du service traumatologie, spécialisé en orthopédie et dont personne n’a contesté le professionnalisme. « Vous n’avez rien dans ce dossier, à part les déclarations des plaignantes, dit Me Jérôme Pianezza, l’un des deux avocats de la défense. Vous allez confronter un morceau de papier, un procès-verbal, à ce monsieur. » Réponse du conseil de la partie civile, Me François Rosseel : « Difficile pour elles de vivre à nouveau ces confrontations, je suis là pour les représenter. »

La présidente a donc déroulé les faits. Une infirmière anesthésiste qui se souvient des mains aux fesses. Le praticien lui a aussi « attrapé les deux seins ». Sur le parking de l’hôpital ou à l’Interphone du domicile de l’infirmière, il a tenu des propos salaces. « J’ai envie de toi, je vais te baiser. » En mars 2011, son comportement déplacé a cessé après deux relations sexuelles consenties avec lui. « Après ça, il m’a laissée tranquille mais il m’a demandé d’arranger le coup avec une collègue. » Derrière la barre, le chirurgien de 47 ans reconnaît uniquement « une liaison consentie ». Cet athlétique Togolais, veste bleue et pantalon noir, détaille calmement « ce jeu de séduction réciproque ».

Pour le cas d’une autre victime de caresses sur les fesses et de doigts plongés dans le décolleté, il conteste. « Je n’entretiens que des relations professionnelles avec elle ». L’infirmière s’est sentie « offensée » mais attendait d’être titularisée pour évoquer les faits auprès de sa hiérarchie. Elle, comme toutes les autres, a pensé être un cas isolé. D’autant que F. K. a une réputation de « chaud lapin ».

Ambiance particulière

Dans la salle de repos des infirmières, l’une d’elles avait entendu qu’il ne fallait pas rester seule avec lui dans les vestiaires mixtes mais, ce soir-là, c’est dans la salle de réveil du bloc opératoire qu’il est venu l’enlacer pour l’embrasser. « J’ai soulevé sa blouse pour verser de l’eau et mon bras s’est retrouvé à l’enlacer », se défend le prévenu. Des jeux d’eau, il y en a souvent dans le bloc opératoire. Les avocats de F. K. insistent sur cette ambiance particulière de l’hôpital.

« C’est un monde à part où l’on côtoie la mort, où l’on sauve des vies, où l’urgence est quotidienne et ça explique la tension perceptible, déclare Me Pianezza. Ces tensions expliquent parfois une forme de surréalisme du mode de détente de ce personnel qui, pour se décharger de cette extrême lourdeur, est compréhensible. C’est la vie. »

Pour le conseil, draguer, blaguer ou dessiner des sexes en érection n’a jamais été une infraction.

En l’absence des parties civiles, il n’y aura pas de débats sur cette question. « C’est vrai qu’il y a une ambiance particulière au bloc. Un humour potache, oui, déclare dans sa plaidoirie Me Rosseel. Mais cependant, on sait faire la différence. Ce qu’elles ont dit, c’est que c’est allé loin. C’était des gestes qui “enfreignaient notre intimité”. »

La procureure a requis une peine de dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis avec inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuels, mais pas d’obligation de soins. Les avocats de la défense ont demandé la relaxe au bénéfice du doute. Le jugement a été mis en délibéré au 21 mars.