Laurent, animateur de la soirée, a apporté un multimètre pour mesurer la conductance électrique de la peau de chacun. / Guillemette Faure

« Alors, là, on va mettre le pouce en contact avec la pile… » On est lundi soir et, à l’étage d’un restaurant parisien, une grosse vingtaine de personnes se retrouvent pour un « café sciences ». Le thème – la biologie de l’amour – a fait carton plein. Ils étaient bien moins nombreux à la rencontre autour de la modification du génome. Laurent, animateur de la soirée, a apporté un multimètre pour mesurer la conductance électrique de la peau de chacun. Comme sur l’affichette accrochée à la vitre, il porte un bandana rouge noué dans sa chemise blanche. « La conductance, c’est l’inverse de la résistance, c’est ça ? », demande un homme qui a fait une école d’ingénierie électrique. C’est souvent lui qui pose les questions.

Laurent explique son projet : on va tous prendre une mesure. A 20 h 30, on mangera des chocolats, et, vers 21 heures, on mesurera à nouveau, pour voir si le niveau a bougé. « Si c’est lié à la sudation, comment faire la différence entre une bonne séance de sport et manger du chocolat ? », demande celui qui pose les questions. « Ça ne marchera pas », promet Jean-Pierre, un hyperémotif. Que ses émotions soient positives ou négatives, ça ne fait pas bouger le bidule chez lui.

Coordination d’ondes cérébrales

En attendant, l’appareil tourne autour de la table, en même temps qu’une feuille sur laquelle chacun inscrit son nom. Vanillechoco, Djendjens, Serein… Plutôt qu’un patronyme, on laisse l’identifiant avec lequel on s’est inscrit. Certains sont venus par Meetup (une plate-forme qui nous propose de « partager nos passions »), d’autres, par OVS (On va sortir !). « Quarante-cinq inscrits… On devrait être vingt-deux », estime Laurent. La règle, c’est de diviser par deux le nombre d’inscrits pour avoir le nombre de présents.

Pendant que le multimètre tourne, Pauline raconte sa dernière expérience électrostatique. D’autres discutent des phénomènes de coordination d’ondes cérébrales. Une Allemande est venue parce qu’elle s’intéresse au docteur Robert Schleip, le pape des fascias, ces tissus qui, d’après elle, expliquent pourquoi, « quand on a mal à la cheville, ça fait mal à la nuque ». Un jeune homme, lui, se fiche un peu du sujet. Mais il adore Meetup. « Ce que j’aime, c’est l’interface. »

Il avait commencé par des rencontres de conversation en chinois. La semaine dernière, il a participé à une réunion organisée pour tester un nouveau jeu de société avec son inventeur. Dans ces cafés sciences, certains sont donc là pour le café, d’autres pour la science. D’ailleurs, en fait de café, c’est un milk-shake peanut butter chocolat qui arrive. Les soirées se tiennent dans le quartier du Marais, à Paris, au Breakfast in America, une enseigne de diner à l’américaine.

Les substances odoriférantes du cerf porte-musc

« Vous avez lu les documents que j’ai mis en ligne ? », demande Laurent. « Non », répond quelqu’un. « Les titres », dit un autre. Devant chacun de nous, à côté du menu du resto, un schéma du circuit cérébral du cortex et des ganglions de la base. « Tu peux rappeler ce que sont les phéromones ? », demande celui qui pose toujours les questions. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup de neuroscientifiques autour de la table, ce qui crée le même type de suspicion que lorsqu’on va dans un resto chinois et qu’il n’y a pas de Chinois en vue.

L’animateur évoque une étude de prélèvements dans « l’atmosphère » de salles de cinéma, qui diffèrent selon les genres de film.

Laurent nous dit avoir fait une thèse de biochimie aux Etats-Unis, étudié les neurosciences comportementales au Canada. Il collecte des articles scientifiques qu’il presse pour en extraire des conférences. Mais revenons à la biologie de l’amour. Il nous parle des substances odoriférantes du cerf porte-musc pendant la période du rut… Il nous explique que, pour plein de raisons, il est difficile de faire financer des études similaires sur les humains. Il évoque aussi une étude de prélèvements dans « l’atmosphère » de salles de cinéma, qui diffèrent selon les genres de film. « Est-ce qu’on aurait pu le détecter avec le changement de pigmentation de la peau ? », demande l’homme qui pose les questions. Laurent nous dit que de toute façon tout cela sera bientôt collecté par nos bracelets connectés et que, comme on aura coché toutes les cases « j’accepte » sans rien lire, toutes nos données finiront chez Google.

Le truc avec les conversations scientifiques, c’est que ça digresse souvent. On était venu parler d’amour et voilà que l’on se retrouve à se demander si les chances de mourir pendant une anesthésie générale sont supérieures à celles de gagner au Loto. Laurent nous ramène au sujet avec une étude qui démontre que le cerveau se fait une idée d’une personne à partir de son visage en « cent millièmes de seconde ». « Vous voulez dire dix centièmes ? », dit un homme à l’aise avec les déplacements de virgule. « Mais le coup de foudre, c’est quoi ? », demande une participante qui jusque-là pianotait sur son téléphone. L’animateur de la soirée lui répond qu’il ne se traduit pas forcément par une relation durable. Il fallait bien un café sciences pour s’en assurer.