Jawad Bendaoud aime bien ses avocats. Marie-Pompéi Cullin, sa « petite Dupond-Moretti » présente depuis les premiers jours, et son cher Xavier Nogueras. « Je les garde, a dit le jeune homme. Je vais pas embaucher un ténor. » Sourire contraint de Me Nogueras. Qui s’est pourtant vaillamment battu pour son client, mercredi 7 février, au dernier jour du procès des logeurs des terroristes du 13 novembre 2015.

Les avocats ont patiemment démonté les constructions échafaudées par les parties civiles, particulièrement Georges Holleaux, qu’ils ont soigneusement évité de nommer. « Les parties civiles ont fait des hypothèses, on est dans le domaine de l’irrationnel, de la croyance, de la foi, qui n’ont pas leur place dans une enceinte de justice », a plaidé Me Cullin.

Le procureur avait commencé la veille, en expliquant que le jour de l’assaut du squat de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Jawad n’avait certes pas spontanément filé dès l’aube sur les lieux de la fusillade. « A son réveil, il n’avait aucune information, avait pourtant plaidé Me Holleaux. Il a compris, et on voit qu’il savait déjà que c’étaient des terroristes. Sinon, comment aurait-il pu le savoir ? » Très simplement : sa compagne, prévenue par sa sœur, l’avait réveillé parce qu’on tirait des coups de feu dans sa rue.

« Il ne savait pas qu’il allait héberger des terroristes »

« Jawad Bendaoud a-t-il retardé l’arrestation d’Abdelhamid Abaaoud », le cerveau des attentats ? s’est demandé à son tour Me Nogueras. Evidemment non. Les policiers ont vu le 16 novembre Abaaoud sortir de sa planque, un buisson, à 20 h 13, or le terroriste n’arrive chez Bendaoud, qui le rencontre pour la première fois, que cinq heures plus tard : « Les policiers ont fait le choix de ne pas intervenir avant d’avoir confirmation de leurs identités. »

La si longue conversation de 3 minutes 31 secondes, le même jour, avec Hasna Aït Boulahcen, qui cherchait à cacher son cousin terroriste ? Des parties civiles ont assuré que la jeune femme était alors en compagnie de Bendaoud, et qu’elle lui avait probablement passé le téléphone. « L’appel a été passé à 19 h 53, a souligné l’avocat. Or Hasna est arrivée sur place à 20 h 10. Il est matériellement impossible qu’elle lui ait passé Abaaoud. »

Il lui fallait encore répondre au procureur de la République, qui a requis une peine de quatre ans de prison ferme – Jawad Bendaoud en risquait six, il en a déjà purgé deux et demi. Le ministère public a estimé qu’on ne pouvait certes affirmer que Jawad Bendaoud savait qu’il hébergeait des terroristes, mais il savait en revanche que c’étaient des criminels. « Et qu’est-ce qui permet d’affirmer qu’il le savait ? a rétorqué l’avocat. Il n’est resté que huit minutes avec eux. »

Il a passé la journée « à se défoncer », a rappelé Me Cullin. Il a inventé un déplacement à Troyes pour retarder le rendez-vous avec Hasna et les deux terroristes, et quand la jeune femme erre dix minutes pour trouver l’entrée de l’immeuble, Jawad Bendaoud ne descend même pas la chercher. « Parce qu’il s’en fout complètement, insiste Me Cullin. Et cette indifférence prouve son ignorance, il ne savait pas qu’il allait héberger des terroristes. »

La veille, les trois avocats de Mohamed Soumah, lui aussi poursuivi pour recel de criminels, avaient défendu la même ligne. « Il n’a aucune idée de ce dans quoi il est embarqué, a plaidé le cabinet Julien Dubs. Que ce soit des criminels ou des terroristes, il n’en sait rien ! Personne n’est au courant du rôle qu’il joue, parce que lui-même ne le sait pas. »

« J’ai ma conscience pour moi »

Les trois prévenus ont eu, comme c’est l’usage, le dernier mot. Mohamed Soumah, à sa manière pataude et touchante, qui jure qu’il a dit la vérité : « La seule fois où j’ai menti, c’est sur le type qui m’a tiré dessus, mais vous vous en foutez, madame. » La présidente, Isabelle Prévost-Desprez, a confirmé que l’épisode n’avait rien à voir avec l’affaire.

Youssef Aït Boulahcen, poursuivi pour non-dénonciation, est aussi celui contre lequel le procureur a requis le maximum, cinq ans de prison, et il s’est défendu avec désespoir. Il jure qu’il est « scrupuleusement respectueux des lois françaises », qu’il paie ses impôts et assure qu’on a « transporté la haine d’Abaaoud » sur lui : « C’est mon cousin germain, je n’y peux rien, je paie le prix de mes liens familiaux. »

Jawad Bendaoud enfin, resté une semaine sans pouvoir dire un mot, ce qui n’est pas chez lui habituel. Il a de nouveau répété, dans un torrent de paroles, qu’il était innocent, s’est excusé auprès des victimes, est revenu en frémissant sur les minutes qu’il a passé avec Abaaoud, dans une pièce de 7 m2 : « Et si la police était arrivée ? Je ne serai pas là aujourd’hui. » Il est certain « à 80 % » qu’il sera condamné, « parce qu’il y a l’opinion publique », mais il n’en démord pas. « J’ai ma conscience pour moi. J’irai pas en enfer pour avoir hébergé des terroristes. » Petite pause. « J’irai peut-être pour autre chose. » Jugement vendredi 14 février.