La marche pacifique organisée pour protester contre l’austérité, mardi 6 février à N’Djamena, au Tchad, aura duré dix petites minutes. Le temps pour les manifestants de parcourir 200 mètres avant d’être dispersés par des gaz lacrymogènes et « par des tirs à balles réelles », selon le député Djimet Clément Bagaou, porte-parole de la coalition de partis d’opposition à l’initiative de cette action. « Nous nous étions donné rendez-vous à 7 heures dans le 9e arrondissement [sud de la capitale], mais les forces de l’ordre étaient déjà déployées et beaucoup n’ont pas pu rejoindre le point de rassemblement. » Des marches avaient également été organisées dans plusieurs villes de province.

Mercredi matin, M. Bagaou dénombrait « plus de 50 blessés par balles et plus de 600 arrestations arbitraires de manifestants sur l’ensemble du territoire national ». Ce bilan est officiellement contesté par la police de N’Djamena. « Il n’y a eu aucun tir à balles réelles, nous ignorons l’existence de personnes blessées », affirme son porte-parole, interrogé par l’AFP.

Le ministre de la sécurité, Ahmat Mahamat Bachir, a pour sa part répété lors d’une conférence de presse que toute manifestation était interdite, invoquant des raisons de sécurité dans un contexte de menace terroriste lié à Boko Haram. « Tout parti politique ou association de la société civile qui tenterait de défier l’autorité de l’Etat verra ses activités purement et simplement suspendues, conformément à la loi », a-t-il déclaré.

« Jeudi de colère »

Une nouvelle marche est cependant prévue le 8 février : un « jeudi de colère » appelé à se reproduire chaque semaine si le gouvernement reste sourd aux revendications des mouvements citoyens et des syndicats, porte-parole d’une population laminée par la crise économique et les mesures d’austérité prises par le gouvernement pour redresser les finances publiques. Les fonctionnaires, qui nourrissent un grand nombre de bouches, ont subi des coupes de 50 % de leurs indemnités et primes. La hausse des prix des carburants et l’entrée en vigueur d’une réforme de l’impôt sur le revenu, prélevé à la source chaque mois, ont également érodé les ressources des familles.

Des manifestants contre l’austérité dans les rues de N’Djamena le 6 février 2018. / DR

La grève générale dans la fonction publique débutée le 30 janvier reste ainsi massivement suivie et le service minimum jusqu’alors en vigueur dans les hôpitaux doit être suspendu mercredi. Les magistrats ont rejoint le mouvement et des entreprises du secteur privé sont aussi touchées par des arrêts de travail. « La population se sent abandonnée et le gouvernement ne pense qu’à réprimer », résume Michel Barka, président de l’Union des syndicats du Tchad.

Pour tenter de trouver une issue pacifique à cette nouvelle crise, les représentants des cultes musulman, catholique et protestant se montrent prêts à jouer les médiateurs, comme ils l’avaient fait lors du mouvement social de 2012. « Nous avons un devoir de neutralité pour amener toutes les parties à s’asseoir autour de la table », expose le pasteur Elie Ngaryedoum. Mardi, la Plateforme du dialogue interreligieux a rencontré le premier ministre, Albert Pahimi Padacké. Mercredi, elle devrait se rapprocher des syndicats et des associations citoyennes. Quand M. Ngaryedoum espère-t-il aboutir ? Le pasteur se garde de tout pronostic, avant d’ajouter : « En 2012, la situation n’était pas si tendue. »