SEVERIN MILLET

La Cour des comptes a publié, mercredi 7 février, son rapport annuel 2018, qui met en lumière des exemples de mauvaise gestion de l’argent public. Voici les points marquants identifiés cette année par les magistrats financiers.

  1. Contrats aidés : un dispositif peu efficace, qui doit être recentré
  2. Linky : le coût du programme pointé du doigt
  3. Politique vaccinale : des mesures « mal coordonnées » et « insuffisantes »
  4. La régulation du secteur de la sécurité privée étrillée
  5. La coûteuse sortie des emprunts à risque pour les finances publiques
  • Contrats aidés : un dispositif peu efficace, qui doit être recentré

La Cour des comptes juge sévèrement le dispositif des contrats aidés : s’avérant peu efficace en termes de réinsertion professionnelle, il doit être recentré sur certains publics bien spécifiques, avec un encadrement plus poussé des bénéficiaires.

Mis en place à partir du milieu des années 1980, les contrats aidés ont pour objectif de favoriser le retour dans le monde du travail de personnes qui en sont éloignées. Entre 2012 et 2016, l’Etat a alloué quelque 13,6 milliards d’euros en faveur de cette politique.

Mais le bilan en matière de retour à l’emploi n’est pas pharamineux, aux yeux de la Cour, qui cite plusieurs études réalisées par le ministère du travail. Ainsi, en 2016, 29 % des signataires d’un contrat aidé dans le secteur non marchand (collectivités locales, associations) ont décroché un CDD d’au moins six mois ou un CDI, six mois après avoir quitté le dispositif. Dans le secteur marchand, le ratio est plus élevé : 54 %. « Ces résultats ne sont pas à la hauteur des moyens engagés », déplore la haute juridiction.

Au fil des ans, cette forme d’emploi a été ouverte à des catégories plus larges, diminuant la part de celles qui sont les plus en difficultés.

A l’avenir, selon la Cour, cette action devrait être ciblée sur des publics fragiles, qui ne peuvent pas être orientés « directement » vers des stages de formation « plus intensifs », sans pour autant nécessiter un suivi « global ». La Cour ajoute qu’il faut renforcer l’accompagnement et la formation des intéressés.

  • Linky : le coût du programme pointé du doigt

Le rapport est très sévère pour Linky. Alors que 8 millions de compteurs communicants ont déjà été déployés en France, la Cour des comptes ne critique pas le bien-fondé du projet, mais estime que les conditions de son déploiement profitent surtout à Enedis (ex-ERDF), et pas suffisamment aux consommateurs.

Le déploiement des compteurs est assuré par Enedis pour un coût de plus de 5 milliards d’euros entre 2014 et 2024. Pour ne pas faire peser cette somme sur les particuliers, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a mis en place un système de tarif différé. Enedis a avancé l’argent et sera remboursé avec intérêts au moment où le programme portera ses fruits, à partir de 2021, dans la facture des consommateurs. Mais, en analysant la construction de ce tarif, la Cour estime qu’il permettra à Enedis d’empocher au passage près de 500 millions d’euros.

Enfin, la Cour relève que « les gains que les compteurs peuvent apporter au consommateur sont encore insuffisants. » Le rapport estime que les informations disponibles sont insuffisantes pour permettre aux utilisateurs de connaître leur consommation détaillée. Et souligne au passage que l’impact sur la consommation d’électricité pourrait être assez faible. Fin 2017, seuls 1,5 % des usagers disposant de compteurs Linky ont ouvert un compte pour connaître leur consommation.

Enfin, la Cour déplore un « défaut de pilotage » de la part de l’Etat et d’Enedis, en ce qui concerne pédagogie et communication.

  • Politique vaccinale : des mesures « mal coordonnées » et « insuffisantes »

Face à la montée de « l’hésitation vaccinale » chez une partie de la population française, les pouvoirs publics n’ont pris que des mesures « de portée limitée » au travers d’une « succession de plans inaboutis ». Le rapport critique avec sévérité la politique vaccinale menée ces dernières années, faite selon elle de « mesures partielles », « mal coordonnées » et « insuffisantes » face à la réémergence de certaines maladies, comme la rougeole (24 000 cas déclarés entre 2008 et 2016).

L’institution dénonce notamment une stratégie d’information et de communication en matière de vaccins « partielle et imparfaite », et juge « particulièrement dommageable » la position en « complet retrait » du ministère de l’éducation nationale à l’égard des problématiques de vaccination. Ce constat intervient quelques semaines après un important changement sur cette question : le passage de trois à onze vaccins obligatoires pour les enfants nés après le 1er janvier 2018. Une mesure certes saluée par la Cour, qui y voit une « clarification attendue et nécessaire », mais qui « ne suffira pas à elle seule à rétablir durablement la confiance ».

Pour y parvenir, les magistrats formulent des propositions, dont plusieurs sont déjà à l’étude. Ils suggèrent par exemple d’autoriser davantage de professionnels de santé à pouvoir vacciner, dans la lignée de l’expérimentation qui a permis à des pharmaciens de vacciner sous certaines conditions contre la grippe. Ils souhaitent également la mise en place de façon prioritaire d’un « registre de vaccination unique ».

Regrettant la faible couverture vaccinale antigrippale des professionnels de santé, la Cour émet le vœu qu’ils soient tous obligatoirement vaccinés contre le virus. Une disposition déjà prévue par la loi, mais jamais appliquée.

  • La régulation du secteur de la sécurité privée étrillée

C’est un coup de semonce que la Cour des comptes adresse au secteur de la sécurité privée. Alors que l’Etat confère à ces entreprises toujours plus de missions et étend progressivement les pouvoirs de leurs agents, l’institution critique l’absence de pilotage de cette dynamique et s’alarme de la régulation « lacunaire » du secteur face à des risques patents en matière de moralité et de fraude. Le rapport de la Cour tire à boulets rouges sur le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), autorité de régulation qui n’est « pas à la hauteur des attentes ».

Le secteur de la sécurité privée jouit d’une croissance forte mais demeure éclaté en une myriade de sociétés peu rentables se livrant une « concurrence sévère ». Celles-ci pratiquent notamment un dumping social grâce à une variable d’ajustement : une main-d’œuvre « volatile, très peu qualifiée et mal rémunérée ». Pourtant, l’Etat n’a eu de cesse de déléguer des missions au privé comme la surveillance de bâtiments publics. En dix ans, près de 600 équivalents temps plein ont ainsi été externalisés.

  • La coûteuse sortie des emprunts à risque pour les finances publiques

Fin 2017, le coût pour les finances publiques de la sortie des emprunts à risque contractés par les collectivités territoriales dans les années 2000 aura atteint plus de 3 milliards d’euros, dont 1 milliard supporté par l’Etat et 2 milliards par les collectivités elles-mêmes. Un coût de sortie « élevé », estime la Cour.

Depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983, les collectivités territoriales ont acquis le droit de souscrire différentes formules d’emprunt. C’est dans le courant des années 2000 qu’apparaissent des produits dits « structurés » reposant sur des taux d’intérêt variables à court et à long terme ou sur des parités de devises. La banque Dexia s’est fait une spécialité de ce type de dispositif, très attractif au départ car proposant des taux inférieurs aux conditions du marché.

La crise de 2008, et l’envolée des taux qui s’en est suivie, va faire déchanter les collectivités , dont environ un millier se sont ainsi retrouvées à devoir éponger des encours d’emprunts dits sensibles, devenus des « emprunts toxiques », pour un montant d’une dizaine de milliards d’euros. Ce qu’elles étaient bien dans l’incapacité de faire.

L’Etat a alors dû intervenir. En janvier 2013, il est devenu actionnaire de la Société de financement local (SFIL), qui a repris pour 8,5 milliards d’euros d’encours sensibles des prêts accordés aux collectivités territoriales par Dexia. Il a ensuite mis en place un fonds de soutien aux collectivités doté initialement de 1,5 milliard d’euros. Un montant doublé en 2015. Parmi les plus gros bénéficiaires, figurent notamment le conseil départemental du Rhône (127 millions d’euros), la collectivité territoriale de Corse (104 millions) et la métropole de Lyon (101 millions).

Pour les finances publiques, même si le dispositif a incontestablement permis de circonscrire les effets dévastateurs de ces emprunts toxiques et d’amortir les risques pesant sur les collectivités, le coût aura été significatif. Pour les représentants du gouvernement, cependant, ce coût de 3 milliards d’euros doit être mis en perspective avec le risque de plus de 17 milliards d’euros pour l’Etat qui aurait pu résulter des pertes encourues par la SFIL et Dexia.

Cette crise des emprunts à risque aura constitué une des plus graves ayant affecté les finances locales au cours des dernières décennies, entremêlant la triple responsabilité des collectivités territoriales, des banques et de l’Etat.