Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Bruxelles, le 25 mai 2017. / OLIVIER HOSLET/AFP

Des perspectives, mais surtout pas de promesses. La Commission de Bruxelles a rendu publique, mardi 6 février, une proposition – dite « stratégie » – pour relancer le processus d’élargissement de l’Union européenne (UE) aux six pays des Balkans occidentaux (Serbie, Kosovo, Albanie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Macédoine). Ce processus, censé favoriser l’entrée de certains de ces pays en 2025 au plus tôt, avait été solennellement lancé lors d’un sommet à Thessalonique en Grèce en 2003, mais il est paralysé à ce stade, faute de volonté politique côté européen, et surtout, faute de réformes dans des pays encore gangrenés par la corruption et, parfois, la violence.

La Commission européenne veut avancer dans les négociations d’adhésion, d’ores et déjà ouvertes, en 2012, avec le Monténégro (650 000 habitants) et surtout, depuis 2014, avec la Serbie (7 millions d’habitants). L’Albanie et la Macédoine sont officiellement candidates. La Bosnie-Herzégovine et le Kosovo n’ont pas encore atteint ce stade des discussions avec Bruxelles.

La date de 2025 ne concerne en fait que la Serbie et le Monténégro en vue d’une éventuelle adhésion. Une date « indicative », a souligné le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, devant le Parlement de Strasbourg, mardi 6 février. Il a souligné que cet horizon temporel est surtout « une perspective pour motiver les pays à poursuivre les réformes ».

« Fatigue liée à l’élargissement »

Car son institution marche sur des œufs : en « off », à Bruxelles, personne ne croit au réalisme de cette proposition. Qui peut imaginer que le Kosovo va entrer rapidement dans un processus d’adhésion, alors que cinq pays de l’UE, dont l’Espagne, ne reconnaissent toujours pas son existence ? Idem pour la Macédoine, qui ne parvient toujours pas à résoudre le conflit sur son nom avec la Grèce…

Les Etats membres n’ont en réalité pas envie d’évoquer l’élargissement de l’Union, alors que la France, pour ne parler que d’elle, déplore déjà qu’une Europe à 28 (27 bientôt avec le Brexit) soit difficilement gouvernable. Et surtout, alors que la Pologne et la Hongrie, pourtant membres de club, prennent des libertés avec l’Etat de droit, voire le violent.

De nombreux diplomates estiment aussi que le processus d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, entrées en 2007, a été beaucoup trop rapide. La Bulgarie souffre encore d’une corruption endémique, et, en Roumanie, le Parti socialiste au pouvoir tente de réformer le parquet anticorruption national, au mépris de l’Etat de droit. Les deux Etats n’ont toujours pas été intégrés dans l’espace sans passeports Schengen. Johannes Hahn, le commissaire à l’intégration, a lui-même reconnu la situation, mardi, parlant de « fatigue liée à l’élargissement » dans l’UE.

Après avoir passablement négligé les Balkans occidentaux, la Commission fait face à un défi géopolitique, avec six pays encore très instables à ses portes. Bruxelles espère les soustraire aux influences grandissantes de la Russie, mais aussi de la Chine, de l’Arabie saoudite ou de la Turquie.

« Exporter de la stabilité »

Moscou diffuse dans la zone sa propagande antieuropéenne et soutient les mouvements nationalistes. Les pays du Golfe ou Riyad inquiètent le Service d’action extérieure que dirige Federica Mogherini, la haute représentante de l’UE, parce qu’ils tentent d’instiller une vision radicale de l’islam dans les sociétés balkaniques, d’où sont d’ailleurs partis de nombreux djihadistes vers les zones de combat irakiennes et syriennes.

« Je ne voudrais pas que, dans cinq, dix ou vingt ans, on nous dise que nous avons trahi une région qui voulait vraiment entrer dans l’UE », a souligné, mardi, Mme Mogherini. Le premier ministre albanais, Edi Rama, indiquait, il y a quelques semaines, que, « si la perspective [d’une adhésion] s’éteint ou devient une illusion, les choses pourraient tourner mal » dans la région.

La « perspective » plutôt vague de Bruxelles et les moyens modestes alloués à sa nouvelle politique – 500 millions d’euros du budget de l’UE seront réorientés vers des projets spécifiques, notamment la baisse des coûts du roaming (« itinérance ») téléphonique dans la région –, suffiront-ils à tirer les Balkans vers le haut ?

D’ici là, le retour de l’élargissement risque de s’inviter rapidement dans la campagne pour les élections européennes de 2019. Surtout si la Turquie en profite pour réclamer que le processus lié à sa propre adhésion soit relancé, alors qu’il est complètement gelé depuis des mois, à la suite des multiples dérives autoritaires du président Recep Tayyip Erdogan. Et que plus personne parmi les pays membres ne soutient ce processus. « L’UE parle de la relance de l’élargissement dans les Balkans occidentaux, mais la Turquie est également un sujet », argue Faruk Kaymakci, le représentant permanent de la Turquie auprès de l’UE.

« Nous désirons une pleine adhésion à l’Europe. D’autres options ne nous satisfont pas », a assuré le président Erdogan dans le journal italien La Stampa, dimanche 4 février, balayant la proposition du président Macron, qui a récemment suggéré qu’il fallait repenser la relation avec Ankara, « non pas dans le cadre du processus d’intégration, mais d’une coopération, d’un partenariat ».

Mardi soir, le Conseil européen a confirmé la tenue, le 26 mars, d’une rencontre avec son président, Donald Tusk, M. Juncker, le président Erdogan et le premier ministre bulgare, Boïko Borissov. L’occasion pour Ankara de jouer à nouveau cette carte de l’adhésion pour avancer sur d’autres sujets lui tenant à cœur : la libéralisation des visas vers l’UE ou la modernisation d’un accord d’union douanière vieux de plus de 15 ans.