La ministre des armées, Florence Parly, et le président de la République, Emmanuel Macron, passent en revue les troupes à Toulon, le 19 janvier. / JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

L’effort, tel qu’il est annoncé, est colossal : près de 300 milliards d’euros cumulés seront consacrés à la défense nationale à l’horizon 2025. A cette date, a promis le président de la République, la France dépensera 2 % de son PIB pour sa force militaire. La loi de programmation militaire (LPM) pour 2019-2025, le texte qui prévoit précisément la façon dont cet argent sera dépensé, devait être présentée au conseil des ministres, jeudi 8 février. Le gouvernement expose ces chiffres en euros courants et hors le budget des pensions.

Le premier objectif, dit-on dans l’entourage de la ministre de la défense, Florence Parly, sera la « régénération » des armées, mot barbare signifiant qu’après une décennie de réductions budgétaires, il faut combler des lacunes devenues criantes dans les équipements, mais aussi former les hommes au niveau requis par l’OTAN. Le second objectif est « la préparation de l’avenir ». La France affiche là sa volonté de préserver son « autonomie stratégique » — elle dépend de la dissuasion, du renseignement et de la maîtrise des nouvelles technologies civiles.

« Les victimes des attentats de 2015 et de 2016 ne seront pas mortes pour rien », prétend un responsable militaire. Plus encore que l’instabilité du monde, les attaques terroristes ont, en effet, provoqué le choc décisif qui a convaincu l’exécutif d’une « remontée en puissance » des moyens régaliens du pays.

Pour planifier l’effort, l’avenir des armées a été découpé en deux séquences, avant 2023 et après 2023. Un étalement censé donner des marges de manœuvre à l’exécutif.

La première séquence va de 2019 à 2023 : le budget annuel du ministère atteindra alors 44 milliards d’euros, contre 34,2 aujourd’hui. Durant ces cinq années, où les besoins sont « couverts de manière ferme », la défense est, comme les autres ministères, soumise à la loi de programmation des finances publiques. « C’était une question de cohérence d’appliquer un texte qui vient d’être voté au Parlement », justifie-t-on dans l’entourage de Mme Parly. Bercy impose ainsi jusqu’en 2022 une discipline pour contenir la dette — la loi plafonne les « restes à payer », les factures impayées de l’Etat, dont la défense représente à elle seule la moitié en raison du cycle long des programmes d’armement.

« Je suis consciente que les 2 % pour la défense vont avec le 3 % de Bruxelles »

Les armées craignaient que cette exigence ne retarde encore des matériels attendus. Le texte de la LPM précise que cela « ne contraindra pas les investissements de la défense ». Une vraie-fausse dérogation, car le ministère devra quand même réduire ses reports de charge. « Je suis consciente que les 2 % pour la défense vont avec le 3 % de Bruxelles » pour le déficit français, a déclaré au Monde Mme Parly.

L’effort cumulé est ainsi affiché à 198 milliards d’euros entre 2019 et 2023. Le budget augmentera de 1,7 milliard par an. Et sur toute la période considérée, entre 2019 et 2025, la défense se voit promettre 295 milliards. En 2023, en 2024 et en 2025, la loi de finances prévoira une augmentation du budget des armées de 3 milliards par an.

Un budget ajusté en fonction de la croissance

Un rendez-vous est fixé au Parlement en 2021 pour actualiser cet ordonnancement. « Cela permettra d’avoir de la visibilité sur les données macroéconomiques, et de consolider les ressources de 2024 et de 2025 en fonction », explique l’entourage de la ministre. En clair, le gouvernement compte sur un maintien de la croissance. Si le PIB augmente assez, l’objectif présidentiel pourrait être atteint plus vite que prévu, espère-t-il. En cas de crise financière, tout serait à revoir. Le texte gouvernemental prend la précaution d’évoquer une « ambition 2030 » suffisamment ouverte, et non chiffrée.

Dans ce cadre, la LPM comprend quatre grands chapitres.

Les hommes, d’abord. Masse salariale comprise, les dépenses liées aux conditions de la vie et du travail militaire doivent progresser de 14 % entre 2019 et 2023, en comparaison de la période 2014-2018. La LPM prévoit 6 000 recrutements, dont 3 000 d’ici à 2023. L’armée de terre, la plus nombreuse, a réussi à démontrer qu’il fallait d’urgence stopper les effets délétères sur les jeunes soldats de la pénurie de petits équipements (gilets pare-balles, treillis, etc.) ou du manque de moyens d’entraînement, sacrifiés ces dernières années. L’entretien des matériels touchera 1 milliard de plus par an.

Des armements livrés plus tôt et en plus grand nombre

La modernisation des armements, ensuite : + 34 % affichés. Dans plusieurs secteurs prioritaires ils seront livrés plus tôt (de deux ans) et en plus grand nombre. Il y avait urgence pour les blindés, la moitié des nouveaux véhicules connectés du programme « Scorpion » de l’armée de terre seront livrés d’ici à 2025. Même accélération pour les patrouilleurs de la marine. Le gouvernement prévoit aussi de livrer quatre sous-marins d’attaque Barracuda et trois frégates multimissions. Quant aux avions ravitailleurs de l’armée de l’air, les douze premiers seront livrés en 2023 au lieu de 2025. Dans ses opérations en cours, la France dépend des moyens américains dans ce domaine.

Le troisième chapitre, sur les moyens de « l’autonomie stratégique », concerne au premier chef la dissuasion nucléaire, avec 37 milliards de dépenses d’ici à 2025. En vue de démarrer le programme du sous-marin lanceur d’engins de troisième génération et d’engager les études du prochain missile nucléaire aéroporté, les budgets vont croître de 5 milliards d’euros d’ici à 2023 et au total de 12 milliards d’ici à 2025.

« Nous voulons aussi des moyens qui apportent une forte valeur ajoutée dans les coalitions », précise l’entourage de la ministre. Le renseignement bénéficie d’une priorité marquée, avec un quart des recrutements prévus, et près de 6 milliards d’euros sur le quinquennat. La France veut lancer de nouveaux satellites (Ceres et Musis), acheter huit avions légers de surveillance au lieu des deux prévus jusqu’alors, acquérir un nouveau bateau espion, davantage de drones Reaper… « Il y a une vraie poursuite de l’effort en matière de renseignement, comme nous l’avons préconisé dans la Revue stratégique de défense [et de sécurité nationale]” », a pu souligner le député européen Arnaud Danjean, qui en a piloté les travaux.

Les bases françaises renforcées

Pour le domaine cyber, offensif et défensif, 1,6 milliard d’euros de plus sont prévus.

Les bases françaises prépositionnées dans le monde, en Afrique notamment, seront renforcées. Paris veut inviter des partenaires européens à y stationner. Avec l’objectif de former chaque année 30 000 personnels des armées locales, contre 20 000 aujourd’hui.

Enfin, le quatrième chapitre prévoit 17 milliards d’euros pour l’innovation, en vue de préserver « la supériorité opérationnelle future ». Les bureaux d’études des industriels vont bénéficier d’une augmentation des fonds de recherche. Et des programmes d’armement attendus, eux, après 2030, devraient être lancés : le successeur du porte-avions Charles-de-Gaulle, le système de combat aérien du futur ou le char de combat que la France souhaite européen.

La LPM sera examinée à l’Assemblée nationale à partir du 12 mars.