Des Syriens pris en charge dans un hôpital des environs de Saraqeb, en Syrie, le 4 février. / OMAR HAJ KADOUR / AFP

Les bombardements présumés au chlore le 4 février, à Saraqeb, dans la province d’Idlib (nord-ouest), et à Douma, dans la Ghouta orientale, près de Damas, montrent que le régime syrien continue d’utiliser des armes chimiques malgré les engagements pris en 2013 avec le parrainage de la Russie.

« Une odeur nauséabonde s’est répandue sur plusieurs quartiers de la ville », ont raconté plusieurs témoins relayés par l’Observatoire syrien des droits de l’homme, qui a relevé onze cas de suffocation. Des habitants de Douma ont livré des récits similaires à propos d’une attaque, le 22 janvier, dans laquelle une vingtaine de personnes ont souffert de troubles respiratoires. Les barils contenant les substances chimiques auraient été largués par hélicoptère afin de créer la panique dans la population et de faciliter ainsi l’avance des forces prorégime. Au moins 70 personnes ont par ailleurs été tuées ces dernières vingt-quatre heures dans des frappes de l’armée de l’air syrienne dans cette enclave assiégée, et l’ONU a appelé à une trêve d’un mois pour éviter « une aggravation de la crise humanitaire ».

Les armes chimiques sont interdites par la convention internationale signée en 1993 et reconnue par 192 pays. La Commission internationale d’enquête sur la Syrie, mandatée par les Nations unies, présidée par le Brésilien Paulo Pinheiro et basée à Genève, a annoncé l’ouverture d’une enquête, mais elle a aussi peu de moyens que de pouvoirs et n’a jamais été autorisée par le régime à se rendre en Syrie.

« Ces armes que nous pensions appartenir au passé sont à nouveau employées par le régime syrien, de manière méthodique et de manière systématique contre sa propre population », a accusé, lundi 5 février, l’ambassadeur français à l’ONU, François Delattre, lors d’une réunion du Conseil de sécurité. Il a ajouté que « les soupçons pesant sur l’état des stocks syriens d’armes chimiques ne sont toujours pas clarifiés ». Les Etats-unis ont présenté, lors de cette réunion, un texte condamnant ces attaques chimiques présumées du régime, affirmant que « les responsables d’un recours aux armes chimiques, incluant le chlore ou toute autre substance, devront répondre de leurs actes ».

« Mettre la pression »

Une fois de plus, la Russie a pris fait et cause pour le régime. « C’est une campagne de propagande visant à accuser le gouvernement syrien pour des attaques dont les auteurs n’ont pas été identifiés », a déclaré l’ambassadeur russe à l’ONU, Vassily Nebenzia. Déjà, en novembre 2017, Moscou avait opposé son veto à la reconduction de l’enquête sur l’attaque au gaz sarin contre Khan Cheikhoun, localité du nord de la Syrie aux mains de la rébellion, qui avait fait au moins 83 morts le 4 avril 2017. Trois jours plus tard, Donald Trump ordonnait des frappes en représailles et le lancement de 59 missiles de croisière sur la base dont étaient partis les avions qui menèrent l’attaque létale.

« Il faut mettre publiquement la pression sur le régime d’Assad et sur ses soutiens », a déclaré, mardi, la porte-parole du département d’Etat américain, visant clairement la Russie. Depuis plusieurs jours, Washington durcit le ton à propos de l’utilisation des armes chimiques. En fin de semaine dernière, le secrétaire américain à la défense, James Mattis, assurait que du chlore avait été utilisé « à de nombreuses reprises » dans des attaques, évoquant de possibles emplois du gaz sarin, tout en reconnaissant ne pas avoir de preuve sur ce dernier point.

Les autorités françaises, qui ont fait de la question des armes chimiques une priorité, notamment avec le lancement, le 23 janvier, d’un « partenariat international » contre l’impunité de leur utilisation, sont restées plus prudentes. Tout en exprimant sa « préoccupation », la porte-parole du ministère des affaires étrangères déclarait, mercredi, « attendre l’expertise des mécanismes internationaux ». Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a déclaré pour sa part que « tout indique l’usage du chlore ».

« Banalisation croissante »

Dès le mois de mai 2017, Emmanuel Macron avait déclaré face à Vladimir Poutine, reçu à Versailles, que l’utilisation d’armes chimiques en Syrie était pour lui une « ligne rouge » et que le recours à de telles armes « par qui que ce soit » ferait l’objet d’une « riposte immédiate », y compris par la France seule. Depuis, il a souvent rappelé cet engagement.

« Les mots engagent, et le mot “immédiat” était de trop, car il faut laisser le temps aux enquêtes », souligne Jean-Sylvestre Mongrenier, de l’Institut Thomas More, tout en saluant la prise de position du chef de l’Etat « alors qu’il y a un risque réel que tout le système de contre-prolifération soit remis en cause avec une banalisation croissante de l’emploi des armes chimiques ». Le chlore n’est certes pas le sarin, un gaz neurotoxique extrêmement létal et très délicat à manipuler. Si l’utilisation du chlore comme arme de guerre est interdite, sa possession, elle, ne l’est pas, car cette substance a de nombreux autres usages, notamment pour la purification de l’eau. En outre, il est plus difficilement traçable. Tout en reconnaissant ces différences, on assure à l’Elysée que la « ligne rouge » tient toujours.