La formule, assassine, a été prononcée mardi 6 février par le secrétaire à la défense des Etats-Unis, James Mattis. « Les seize dernières années de guerre ont beau avoir été dures, aucun ennemi sur le terrain n’a autant fait pour nuire à la préparation de l’armée américaine » que les tergiversations du Congrès, a-t-il assuré. La situation pourrait changer avec l’accord conclu entre démocrates et républicains au Sénat, mercredi 7 février, qui a semblé satisfaire la Maison Blanche.

Trois semaines après un très bref blocage du gouvernement fédéral, du 20 au 22 janvier, faute de moyens alloués par les élus pour fonctionner, y compris pour les armées, une nouvelle menace de shutdown (« fermeture ») pèse en effet sur Washington. Le Congrès a débloqué la situation en votant une rallonge de trois semaines, qui arrive à expiration jeudi 8 février.

Seuls maîtres du jeu par rapport aux souhaits que peut exprimer de son côté la Maison Blanche, les élus américains ont pris depuis longtemps la mauvaise habitude de s’entendre sur un budget bien après le début de l’année fiscale, qui débute traditionnellement le 1er octobre.

Trois rallonges votées depuis septembre

La maîtrise totale par le Grand Old Party du Congrès et de la Maison Blanche, depuis l’élection de Donald Trump, n’a pas modifié cette donne, faute d’une majorité suffisamment large au Sénat pour se passer des voix démocrates. Un seuil de 60 voix est en effet requis, alors que les républicains n’y disposent que de 51 sièges.

Trois rallonges ont ainsi été votées successivement en septembre, en décembre et donc en janvier, en reconduisant les dépenses votées lors du dernier exercice. Selon le secrétaire à la défense, ces reconductions au coup par coup empêchent tout effort de planification à long terme. « La Chine court, et pendant ce temps, les Etats-Unis font du tir à la corde », assure le politologue Bill Galston, ancien de l’administration de Bill Clinton, aujourd’hui à la Brookings Institution.

L’accord obtenu mercredi au Sénat, s’il est adopté puis accepté par la Chambre des représentants et enfin ratifié par le président, doit permettre pour un temps de rompre avec cette pratique adoptée par défaut. Les sénateurs envisagent pour 2018 et 2019 un gonflement annuel des dépenses militaires de l’ordre de 80 milliards de dollars, selon le Washington Post, qui s’ajouteraient aux 549 milliards du dernier exercice. Il serait complété par une hausse des dépenses non militaires, notamment sociales, de 63 milliards de dollars, selon la même source, en plus d’un total qui s’élève pour l’instant à 516 milliards.

Les deux partis profondément divisés sur l’immigration

Le compromis pourrait satisfaire les deux camps, à l’exception des conservateurs fiscaux. Ces largesses en rupture avec la discipline budgétaire prônée par les républicains durant les deux mandats de Barack Obama, si elles sont adoptées, pèseront en effet durement sur un déficit déjà aggravé par la réforme des impôts votée en décembre. Cette dernière va priver l’Etat fédéral de précieuses recettes provenant de la fiscalité des entreprises et des personnes les plus fortunées.

Ces blocages budgétaires récurrents auxquels Donald Trump, en dépit des assurances avancées pendant la campagne, n’a pas été capable de remédier, sont compliqués cette année par le dossier de l’immigration, qui divise profondément les deux grands partis. Le président a ainsi envisagé mardi de bloquer lui-même l’Etat fédéral, ce qu’il peut faire en refusant de signer toute loi de finance votée par les élus, si le Congrès n’adopte pas les mesures restrictives qu’il propose. Une menace cependant rapidement écartée par sa porte-parole, Sarah Sanders. De son côté, la responsable de la minorité démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (Californie) a conditionné mercredi un vote favorable sur le compromis budgétaire du Sénat à l’engagement du speaker (président) Paul Ryan (Wisconsin) d’organiser un vote sur le sujet.

Le débat sur l’immigration a été relancé par la perspective de voir, au début de mars, les sans-papiers arrivés enfants aux Etats-Unis privés d’un statut temporaire créé par Barack Obama (également appelés Dreamers) mais supprimé par son successeur. Donald Trump veut monnayer la régularisation des bénéficiaires de ce statut et de ceux qui auraient pu le solliciter (1,8 million de personnes au total) en échange du financement du « mur » qu’il souhaite voir érigé sur la frontière avec le Mexique et d’une importante révision des règles migratoires.

Après avoir bloqué sans succès le gouvernement fédéral en janvier pour obtenir un règlement de la question des Dreamers, les démocrates se sont ravisés. Ils ont levé leurs menaces sur le budget au prix d’une augmentation des dépenses non militaires qui leur tiennent à coeur, notamment sociales. Ils semblent prêts désormais à troquer la régularisation contre des fonds pour le « mur », sans s’engager sur les autres points d’une réforme de la politique d’immigration américaine qu’ils ne souhaitent examiner qu’ultérieuremement.