Des objets en ivoire confisqués par les autorités fédérales américaines, qui ont été broyés à Central Park, à New York, en août 2017. / NYDEC

Permettre aux citoyens de participer à la protection des éléphants. Tel est l’objectif de l’opération #JeDonneMonIvoire, lancée jeudi 8 février en France par le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), une ONG engagée contre le trafic d’espèces sauvages. Celle-ci espère récupérer un maximum de défenses brutes ou gravées, de bijoux, statues, sculptures, qui seront ensuite détruits au printemps : broyés puis incinérés dans deux centres de tri à Reims et à Cannes.

Une telle démarche avait déjà été réalisée en 2015 dans l’Hexagone ; 257 objets avaient alors été cédés à IFAW et détruits. Au Royaume-Uni, l’association a mené des actions similaires, dont la dernière s’est soldée à la mi-janvier par la restitution de 500 objets pour un poids total de 150 kg. « Depuis la quasi-interdiction de ce commerce en France, nous avons des demandes, plusieurs fois par semaine, de détenteurs d’ivoire qui veulent s’en séparer mais ne savent pas comment procéder », explique Céline Sissler-Bienvenu, la directrice France et Afrique francophone de l’IFAW.

La France, en avance sur l’Europe, a adopté un arrêté, le 16 août 2016, interdisant la vente d’ivoire brut et restreignant celle d’ivoire travaillé – seuls certaines pièces datant d’entre 1947 et 1975 peuvent être vendues, en fonction du pourcentage et du poids d’ivoire qu’elles contiennent. « Malgré ces avancées cruciales, une quantité non négligeable d’ivoire travaillé peut encore être commercialisée grâce à ce système dérogatoire », remarque-t-elle.

Blanchiment d’ivoire illégal

« Le commerce légal permet de blanchir l’ivoire illégal, il alimente le braconnage, rappelle l’experte. Distinguer les deux est très difficile puisqu’il faut faire des analyses au carbone 14. On s’en remet alors aux documents qui accompagnent les objets et qui sont souvent falsifiés. »

Lors d’opérations de destruction de vastes quantités d’ivoire, comme en 2014 devant la Tour Eiffel, des critiques s’étaient pourtant élevées, dénonçant la destruction d’un patrimoine ou une « double mort » pour les éléphants. « Nous refusons d’accorder toute valeur marchande, artistique ou culturelle à l’ivoire, revendique l’IFAW. Il n’est utile qu’aux éléphants. » « Dans l’histoire, posséder de l’ivoire était vu comme un symbole de richesse, mais ce symbole cache une réalité bien sordide : celle d’un éléphant mort qui a cruellement été empoisonné ou abattu pour ses défenses », confirme Philip Mansbridge, directeur d’IFAW au Royaume-Uni.

Des objets en ivoire confisqués par les autorités fédérales américaines, qui ont été broyés à Central Park, à New York, en août 2017. / NYSDEC

Dramatique déclin des éléphants

Or les populations d’éléphants continuent de décliner dramatiquement : en Afrique, leurs effectifs ont chuté de plus d’un tiers entre 2007 et 2014, pour atteindre 415 000 individus. Ils connaissent un taux de mortalité (8 % par an) supérieur à celui de leur natalité. En cause dans cette hécatombe : la destruction et la fragmentation de leurs habitats naturels devant l’extension des villages et des activités agricoles. Mais le principal péril réside dans le braconnage. Chaque année, 20 000 pachydermes sont tués sur le continent pour leurs défenses. Ces dernières servent à fabriquer des bijoux ou des objets d’art, essentiellement destinés aux classes moyennes émergentes d’Asie.

Le commerce international de l’ivoire est pourtant banni depuis 1989, mais ce dernier reste en vente, sous certaines conditions, dans de nombreux Etats, y compris en Europe, plateforme de transit entre l’Afrique et l’Asie. « Avec le développement d’Internet, le commerce illicite de l’ivoire a triplé depuis 1998, déplore Céline Sissler-Bienvenu. La demande s’est mondialisée, elle s’est répandue en Chine mais aussi en Europe. »

Vers la fermeture du marché européen ?

En septembre 2016, le Parlement européen a adopté deux résolutions appelant à fermer les marchés intérieurs de l’ivoire et à cesser de participer à son commerce international. Additionnées à des demandes croissantes d’une partie de la population, elles ont conduit la Commission à lancer une consultation publique, entre septembre et décembre 2017, sur la possibilité de fermer son marché domestique. Celle-ci rendra son avis en juin, après avoir étudié les 80 000 commentaires reçus.

En Asie, le plus grand marché du monde, la Chine, en a interdit totalement le commerce sur son territoire depuis le 1er janvier, conduisant à la fermeture de toutes les usines et tous les points de vente. Début février, Hong Kong a suivi le même exemple, en votant un plan en trois étapes pour mettre fin à son commerce d’ici à la fin 2021. « Ces annonces sont encourageantes car elles limitent le nombre de consommateurs potentiels, juge Céline Sissler-Bienvenu. Mais il faut voir comment ces pays vont faire respecter les interdictions. » D’autant que la contrebande prospère sur de nouveaux marchés comme le Vietnam et le Laos.