Classe de CP1 du village de Békouré, où Safietou Zouré encadre 74 élèves sous paillote. / Sophie Garcia / Sophie Garcia | hanslucas.com

Au fond de la cour, une écolière frappe avec un bâton sur une jante de voiture accrochée à un manguier. C’est la fin de la récréation pour les 375 élèves de l’école primaire de Békouré, un village de la commune de Bittou qui tutoie la frontière togolaise, dans le sud du Burkina Faso. Les pieds blanchis par la poussière – comme les visages par la craie –, les 74 enfants de CP1 entrent dans leur classe. Ils n’ont pas eu besoin de franchir de porte ; il n’y en a pas.

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Un ballon dans la main droite, Safietou Zouré commence sa leçon de vocabulaire. « Qu’est-ce que c’est ? », demande l’enseignante de 25 ans. « Moi ! » « Moi ! » « Moi ! », entend-on de part et d’autre de la classe. « Un ballon », répond Ibrahim, grand garçon de 9 ans à la langue bien pendue.

Derrière son pupitre déglingué, on aperçoit la brousse vallonnée. Un bœuf passe. Ibrahim tourne la tête et l’observe. Dans cette classe d’une vingtaine de mètres carrés, la paille tressée, maintenue par des morceaux de bois accrochés par des fils d’écorce, fait office de mur. « En décembre, les bœufs ont mangé la paille. Maintenant il y a un trou », explique Ibrahim en montrant l’orifice de plusieurs mètres derrière lui.

Infographie "Le Monde"

Enseignants en grève

Au Burkina Faso, ces classes sous paillote, construites avec les moyens du bord en raison du manque de ressources de l’Etat, sont partout. Selon le ministère de l’éducation nationale, il y en avait 5 501 en 2017, soit 615 de plus qu’en 2015. Comme Ibrahim, 201 915 écoliers burkinabés tentent d’apprendre sous ces abris de fortune. En 2015, ils étaient 3 455 de moins.

Pourtant, depuis l’accession au pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré, la construction d’écoles sous paillote est interdite. Le président du Burkina Faso s’était engagé à les résorber lors de sa campagne présidentielle. Mais en pratique, cette interdiction pose problème et le nombre d’écoles sous paillote continue d’augmenter.

« On n’a pas le choix ! Nous n’avons pas les moyens de construire des classes en dur. Les enfants sont là, chaque rentrée toujours plus nombreux. Comme le mot d’ordre du ministère, c’est zéro enfant à la maison, on fait ce qu’on peut pour les accueillir. Sinon ils seraient dans la rue », justifie Maxime Bambara, le directeur de l’école.

Ce mercredi matin, lui et ses six enseignants manifestent leur ras-le-bol. Comme la plupart des enseignants burkinabés, ils respectent le mot d’ordre lancé par les syndicats de l’éducation début 2018 : deux matinées de sit-in par semaine, jusqu’à nouvel ordre. Depuis plusieurs mois, le secteur éducatif burkinabé multiplie les grèves et les opérations pour exiger, surtout, de meilleures conditions de travail.

« Ce sont les parents d’élèves qui ont aidé à construire cette classe sous paillote, en octobre », explique Safietou Zouré. Avant la construction improvisée de cette sixième salle de cours, il n’y avait pas de classe de CM2 dans l’école de Békouré. Pour terminer leur cursus primaire, les écoliers étaient contraints de parcourir une dizaine de kilomètres pour rejoindre les deux classes de CM2 les plus proches, à Gnangdin et Bittou.

« Les parents se plaignaient beaucoup de la distance, explique Maxime Bambara. Donc on a construit une classe de plus pour ouvrir une section de CM2. » Dans l’école, trois classes en dur sont désormais réservées aux plus grands, du CE1 au CM2. Les CP1 et les CP2, 143 enfants au total, sont dans les deux classes sous paillote érigées de chaque côté du bâtiment de béton.

La classe africaine : état de l’éducation en Afrique
Durée : 01:56

« Les élèves sont distraits »

Dans la classe de Safietou Zouré, le seul mur en briques est celui où ont été fixés les deux tableaux noirs. La jeune enseignante vient d’obtenir son concours. C’est sa toute première expérience professionnelle. Elle l’avoue à demi-mot, lors du concours, les apprentis enseignants prient pour ne pas avoir à faire leurs premières armes dans une classe sous paillote. « Enseigner dans ces conditions, ce n’est pas facile, confie-t-elle en rangeant son cahier de lecture. Il n’y a pas de murs, donc les élèves sont distraits. Ils suivent mal. »

L’enseignante prend un tableau de bois où ont été cloués une quinzaine de pics. Elle y accroche trois capsules de bouteilles de soda. La leçon de mathématiques peut commencer. « Combien y a-t-il de capsules ? » Le brouhaha couvre quasiment sa voix. Les écoliers sortent de leurs cartables de fortune capsules, bâtons et cailloux, tandis que l’enseignante passe entre les rangs, son bébé de six mois dans le dos et son enfant de 3 ans, Cheick, sur ses pas.

Une demi-heure plus tard, le cours touche à sa fin. « Vous pouvez sortir ! », lance Safietou Zouré. Les enfants se ruent dehors, créant un vaste nuage de poussière. « Il y en a trop ici, ça fait éternuer et on tombe malade », se plaint le jeune Ibrahim. Dans la classe, une de ses camarades se saisit d’un bidon d’eau et arrose le sol pour faire retomber la brume de particules.

Ibrahim espère que tout cela ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir. Dehors, les parents d’élèves se sont réunis autour d’un tas de briques. D’ici trois ou quatre mois, la classe sous paillote de CP1 de Békouré sera remplacée par une nouvelle salle en béton. « Une association suisse, Graine de baobab, nous a donné de l’argent pour construire trois nouvelles salles », s’enthousiasme Maxime Bambara. Pour le directeur, c’est la quasi-providence et, surtout, la fin d’une longue bataille. Voilà treize ans que, chaque année, il demande à l’État de financer la normalisation de son établissement. En vain.

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Présentation de notre série : La classe africaine

De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.