Pour la deuxième fois en trois semaines, les Etats-Unis ont mis fin au « shutdown » fédéral. Vendredi 9 février, la Chambre des représentants a approuvé, dans la matinée, un nouveau compromis budgétaire. Les parlementaires ont accordé six semaines de crédits à l’administration américaine, le temps pour les élus de transcrire l’accord budgétaire en proposition de loi pérenne.

Pendant trois jours, en janvier, le gel du financement fédéral avait déjà conduit à la fermeture partielle d’agences et de services fédéraux et mis au chômage technique sans salaire plusieurs centaines de milliers d’employés fédéraux. Retour sur les raisons qui ont conduit à ces deux « shutdowns ».

  • Le premier depuis octobre 2013

Ces deux paralysies du gouvernement fédéral américain sont les premières depuis celle qui avait duré seize jours en octobre 2013, sous la présidence de Barack Obama. A l’époque, il s’agissait d’une première depuis 1996, sous la présidence de Bill Clinton.

Le 42e président des Etats-Unis avait dû faire face à un « shutdown » de vingt et un jours entre décembre 1995 et janvier 1996, le plus long qu’aient connu les Etats-Unis depuis 1976. Cette année-là, le chef de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, Newt Gingrich – aujourd’hui très proche de Donald Trump –, voulait obliger le président Clinton à tailler dans les dépenses de protection sociale. Le bras de fer entre l’exécutif et le législatif avait débouché sur une cessation temporaire et partielle des services de l’Etat à deux reprises : du 14 au 19 novembre 1995 et du 16 décembre au 6 janvier 1996, 280 000 fonctionnaires avaient été mis au chômage et 475 000 avaient vu leur salaire suspendu.

  • L’immigration, principale pierre d’achoppement

Comme à chaque fois, le « shutdown » est, cette fois encore, le résultat d’une « lutte armée » entre démocrates et républicains, explique ainsi Jean-Eric Branaa, spécialiste de la politique américaine et maître de conférences à l’université Paris-II Panthéon-Assas. Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, les démocrates entendent faire jouer au Congrès, composé du Sénat et de la Chambre des représentants, leur rôle de « contre-pouvoir », rappelle-t-il.

C’est, en effet, au Congrès que revient la « responsabilité de distribuer l’argent dont le président a besoin pour mener à bien ses réformes », notamment celles concernant sa politique migratoire, principale pierre d’achoppement. « Les démocrates ont fait du refus de la construction du mur [de séparation à la frontière mexicaine], le symbole de leur opposition à la politique de Trump », rappelle M. Branaa.

Le 21 janvier, le Congrès est resté paralysé en raison d’un autre désaccord sur la question sensible de l’immigration. Les démocrates insistaient pour que tout texte prolongeant le financement des dépenses à court terme de l’administration fédérale inclue une protection pour les jeunes migrants clandestins – qui bénéficient pour quelques semaines encore d’un programme mis en place en 2012 par Barack Obama.

En vertu du programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals), près de 700 000 jeunes clandestins, les « dreamers », entrés illégalement sur le territoire américain avec leurs parents, sont protégés de toute expulsion des Etats-Unis et autorisés à travailler légalement. Donald Trump a annoncé en septembre 2017 la suppression de ce programme à compter du 5 mars.

  • Le pavé dans la mare du républicain Rand Paul

Le « shutdown » est ainsi un outil de « négociations » qui permet d’obtenir des gages de réforme de la part de l’autre camp, explique Jean-Eric Branaa.

Mais pas uniquement. A l’origine du deuxième « shutdown » de 2018, qui n’aura finalement duré que huit heures, on trouve un membre du camp du président Trump : le sénateur républicain Rand Paul. Ce libertarien (courant qui estime que l’Etat doit peser le moins possible sur la vie des gens), a bloqué le scrutin jeudi pour s’opposer notamment au relèvement du plafond de la dette.

« Je ne peux pas, en toute honnêteté et en toute bonne foi, regarder ailleurs, car mon parti est maintenant complice des déficits », a-t-il lancé, dénonçant « l’hypocrisie » de ses collègues républicains qui avaient, en 2013, refusé le relèvement du plafond de la dette demandé par Barack Obama.

Les républicains ayant une courte majorité au Sénat (51 contre 49 démocrates), il aura suffi d’une seule personne pour bloquer le vote.

  • Une situation « inimaginable » en France

Aux Etats-Unis, le Congrès est responsable de la « politique interne », contrairement à la plupart des pays européens qui ont « un gouvernement qui propose les lois et un parlement qui les vote », rappelle Nicholas Dungan, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). « Il serait inimaginable en France que l’on ne vote pas un budget, mais le Congrès américain n’a rien à voir avec le Parlement français », ajoute le chercheur.

Depuis l’indépendance des Etats-Unis, en 1776, la politique américaine « se construit autour du Congrès. Alors, quand il y a des désaccords fondamentaux, cela s’exprime par des blocages », constate Nicholas Dungan. Après l’indépendance, ses membres furent d’ailleurs les seuls responsables de la politique américaine jusqu’à l’arrivée au pouvoir du premier président des Etats-Unis, Georges Washington, en 1789. Ainsi, dans la constitution américaine, le rôle du Congrès est détaillé dans l’article 1 (le plus long) et le rôle du président dans l’article 2.