Exxon a engrangé 19 millliards de dollars de profits en 2017. / KAREN BLEIER / AFP

Dix-neuf milliards de dollars (15,5 milliards d’euros) de profit pour Exxon, 13 milliards de dollars pour Shell, 8,6 milliards pour Total : le temps des vaches maigres est terminé pour les géants du pétrole. Après trois années difficiles, les « majors » du secteur peuvent souffler et affichent leur volonté de récompenser leurs actionnaires.

Total a ainsi annoncé, jeudi 8 février, sa décision d’augmenter de 10 % les dividendes pendant les trois prochaines années. Le groupe français a également fait part de son intention de réaliser jusqu’à 5 milliards de dollars de rachat d’actions sur la période 2018-2020 pour « partager avec les actionnaires les bénéfices de la hausse des cours ». D’autres compagnies, comme le norvégien Statoil ou l’américain Chevron se sont aussi déclarés désireux de récompenser leurs actionnaires.

« 2017 fut l’une des meilleures années de l’histoire récente de BP », a même résumé Bob Dudley, le directeur général, alors que le groupe britannique continue de verser chaque année plusieurs milliards de dollars pour compenser la catastrophe Deepwater Horizon en 2010.

« Un plaisir pour leurs actionnaires »

Mais, derrière ces cadeaux à des actionnaires impatients après trois années de résultats en demi-teinte, se cache une vraie réserve de la part des « majors ». « C’est vrai, c’est un soulagement pour les entreprises du secteur et un plaisir pour leurs actionnaires », explique Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie de l’Institut français des relations internationales, « mais les incertitudes subsistent et tout le monde fait preuve de prudence ».

Et pour cause : le retour au profit chez les grands groupes pétroliers est d’abord dû à la remontée du prix du baril. En 2017, les cours du pétrole se sont établis à 54 dollars le baril en moyenne contre 44 dollars en 2016. Depuis début janvier, les cours évoluent entre 65 et 70 dollars.

L’équation est assez simple : quand le baril est tombé à 28 dollars en 2014, tous les pétroliers ont sévèrement bu la tasse et essuyé de graves difficultés. Les groupes ont dû réduire leurs coûts de manière drastique. D’autant que, dans la période faste du baril à plus de 100 dollars, ils avaient multiplié les investissements coûteux, comme la production de pétrole à partir de sables bitumineux ou sur plateforme en eaux très profondes.

« Personne ne veut crier victoire trop tôt »

« Mécaniquement, la rentabilité d’un certain nombre de majors s’améliore », note M. Eyl-Mazzega. « Tout le monde se souvient qu’il y a tout juste un an, le baril était encore bas. Personne ne veut crier victoire trop tôt », analyse Denis Florin, de Lavoisier Conseil.

Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, l’a répété cette semaine : « On maintient tous nos programmes d’économies malgré la montée des cours ». Le groupe entend ainsi trouver 500 millions d’euros d’économies par an jusqu’en 2020.

Bien peu parient sur le fait que le prix du baril va augmenter fortement en 2018. La remontée des prix entamée en 2017 est due à une croissance continue de la demande, particulièrement en Asie. Mais c’est aussi l’accord passé entre les pays du cartel pétrolier de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie qui a aussi tiré le baril vers le haut. En acceptant, de réduire sa production de 500 000 barils par jour, l’Arabie Saoudite a engagé un mouvement, bien respecté par les pays signataires de l’accord, pour tenter de diminuer l’offre présente sur le marché et faire remonter les prix. Riyad et Moscou, qui ont terriblement besoin d’un pétrole cher pour des raisons de politique intérieure, ont déjà commencé à évoquer la prolongation de cet accord pour l’année 2019.

Hausse continue de la production américaine

D’autant que l’effondrement de la production pétrolière du Venezuela a contribué au mouvement. Le pays sud-américain, qui possède d’immenses réserves, a vu sa production diminuer de plus de 300 000 barils par jour en 2017 en raison de la crise politique et économique.

Pour certains observateurs, cette situation pourrait perdurer en 2018 et maintenir un niveau de prix entre 60 et 70 dollars de baril. « La demande mondiale continue d’augmenter, l’OPEP maintient sa discipline, les inventaires sont au plus bas. Et le moindre événement géopolitique peut faire grimper les prix », a ainsi expliqué l’analyste de Energy Aspects, Amrita Sen, à l’agence Bloomberg.

Les causes qui ont provoqué la baisse du prix du baril en 2014 sont toutefois plus présentes que jamais. En premier lieu : la hausse continue de la production américaine de pétrole.

Pour la première fois depuis les années 1970, les Etats-Unis ont dépassé en novembre le cap de 10 millions de barils de pétrole extraits chaque jour, selon les chiffres de l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA). Il y a tout juste dix ans, en 2008, ils ne produisaient plus que 4 millions de barils par jour.

Boom du pétrole de schiste

De fait, les Américains rivalisent désormais avec la Russie et l’Arabie saoudite et pourraient devenir en 2018 le premier producteur et le premier exportateur mondial, selon l’Agence internationale de l’énergie.

Cette hausse constante de la production, due en grande partie au boom du pétrole de schiste obtenu par fracturation hydraulique, a une conséquence directe : plus l’offre est abondante, plus les prix sont tirés vers le bas. Avec un paradoxe à la clef : les efforts saoudiens et russes pour maintenir un prix élevé en réduisant leur production profitent directement aux compagnies américaines. Qui ont, elles, repris de plus belle leurs forages.

L’agence Bloomberg rapportait jeudi qu’un tanker chargé de pétrole texan avait pour la première fois livré l’émirat d’Abu Dhabi. « Une preuve que la planète pétrole à la tête à l’envers », notait l’agence financière.

Pas d’investissements majeurs

D’autant que la réforme fiscale de Donald Trump devrait inciter les majors américaines à investir aux Etats-Unis, ce qui pourrait contribuer à augmenter la production. Le président américain mène une politique très favorable aux énergies fossiles, ce qui l’a notamment conduit à étendre les permis de forage offshore sur les côtes américaines et en Alaska.

Cette situation confuse explique en partie la prudence des pétroliers à se lancer dans des investissements majeurs. « Ils vont se concentrer sur des zones simples d’accès, sur des ressources conventionnelles, dans des pays plutôt sûrs », décrypte Marc-Antoine Eyl-Mazzega. « Nous n’irons pas chercher du pétrole en Alaska ou dans des zones où la production est compliquée et donc chère », détaillait ainsi le PDG de Total, Patrick Pouyanné, dans un entretien au Monde, mardi.

Signe de cette prudence, les investissements en exploration et production restent timides au niveau global. Ils ont atteint 389 milliards de dollars au niveau mondial en 2017, selon l’étude annuelle de l’IFP Energies nouvelles. Un niveau qui reste toutefois bien loin des 683 milliards de dollars de 2014. L’IFP estime que le déficit d’investissements dans le secteur pourrait être « de l’ordre de 10 à 20 % par rapport aux besoins estimés jusqu’en 2025 ».