Au déjeuner « L’Express » - RTL des auteurs des livres les plus lus de l’année, le 5 février 2018. / GUILLEMETTE FAURE POUR « M, LE MAGAZINE DU MONDE »

« Je ne pourrai pas être des vôtres car je pars, la veille, pour le Tibet. Je pars pour observer la panthère des neiges près des sources du Mékong. » En termes d’excuse, Sylvain Tesson se pose là quand il décline une invitation au déjeuner L’Express - RTL des auteurs des livres les plus lus de l’année. Même Leïla Slimani, en déplacement avec Emmanuel Macron, n’a pas de panthère des neiges pour justifier son absence sous la verrière du Grand Hôtel InterContinental.

« Il m’attendait depuis 1950, qui d’autre que moi pourrait porter ça ? » Amélie Nothomb

Le journaliste Jérôme Dupuis porte dans sa poche arrière une enveloppe qu’il n’a pas ouverte. C’est Héloïse d’Ormesson qui la lui a remise. La lettre qu’elle contient est peut-être liée à la critique qu’il a publiée dans L’Express du dernier livre de son père, celle dans laquelle il se demandait si on devait « obligatoirement dire du bien de Et moi, je vis toujours ? ». C’est peu dire qu’il s’est affranchi de cette obligation.

Cette année, donc, c’est un des premiers déjeuners des best-sellers sans Jean d’Ormesson, comme l’a regretté Guillaume Dubois, le patron de L’Express, en accueillant les auteurs et en annonçant, comme en 2017, une nouvelle formule de l’hebdomadaire.

A la place de Jean d’Ormesson, c’est donc Michel Serres qui prend le bras d’Amélie Nothomb. « Elle vend combien ? », demande un auteur de best-sellers médicaux. La légende dit qu’elle ne boit du champagne qu’un jour sur deux. C’est vrai, dit-elle, et ça tombe bien, c’est aujourd’hui. Elle porte un drôle de chapeau violet rebondi en deux parties, un peu comme un arrière-train. Elle trouve que c’est un mélange entre un Pierre Cardin et celui d’Alice au pays des merveilles. « Il m’attendait depuis 1950, qui d’autre que moi pourrait porter ça ? »

Qui d’autre aussi que Fabrice Midal, l’éditeur de livres de méditation, auteur de Foutez-vous la paix !, pour venir à ce déjeuner tout de jaune vêtu, couleur de l’éveil chez les bouddhistes ? Pourtant, on le voit à peine sur la photo, caché comme les autres auteurs derrière le chapeau d’Amélie Nothomb.

« Il paraît que tu es avec une violoniste ? », demande David Foenkinos à un journaliste. « Elle joue très bien ou elle est très jolie ? » Plusieurs personnes disent du bien du Traité de savoir-rire à l’usage des embryons, d’Anne Akrich, devant Olivier Nora, le patron de Grasset. Qu’il soit le père de l’enfant à venir auquel s’adresse le livre dans lequel il est présenté comme ayant « du pouvoir et de l’élégance » n’est peut-être qu’une coïncidence. « J’espère être plus drôle dans le livre qu’en vrai », dit-il.

« Faut être sorti de Polytechnique pour repasser le code, j’ai abandonné… » Mazarine Pingeot

Anna Gavalda doit partir parce qu’elle a un train. Philippe Besson doit partir parce qu’il a une excuse que son éditrice se débrouillera pour inventer. Et avec tout cela, Jérôme Dupuis a toujours dans sa poche arrière la lettre de la fille de Jean d’Ormesson qu’il faudra bien qu’il finisse par lire.

A défaut de pouvoir la lire à sa place, on parle des réactions aux critiques. Il paraît que Jean Teulé a jubilé en apprenant qu’un journal avait assassiné son propre livre. Les blessures des écrivains ne se produisent jamais où on les attend. Mazarine Pingeot se plaint du permis de conduire qu’elle doit repasser. « Faut être sorti de Polytechnique pour repasser le code, j’ai abandonné… », constate la normalienne.

Joyeux anniversaire

On débat aussi du Salon du livre de Paris. Les filiales d’Hachette Livre Grasset et Stock n’ont pas envie de s’y rendre cette année ; elles ne veulent plus déplacer leurs auteurs pour des lecteurs qui préfèrent faire des selfies qu’acheter des livres. A la table voisine, l’auteur de polar et spécialiste de la géographie électorale Michel Bussi loue a contrario les joies des rassemblements en province, Brive, Nancy ou Quais du Polar, à Lyon. Il vit à Rouen. Est-ce parce qu’il respire loin de Paris qu’il sourit tout le temps en parlant, et ne dit pas de mal de ses contemporains ?

A la poire, servie en dessert, débarque une jeune femme qui vient s’asseoir entre Jean-Christophe Rufin et Antoine Gallimard. C’est la fille du romancier diplomate. Elle fête ses 23 ans ; son père, sans doute culpabilisé, l’a attirée là pour lui glisser un morceau de gâteau pendant que les serveurs de l’InterContinental lui chantent « Joyeux anniversaire » sous les regards médusés des organisateurs du déjeuner.

Dans son courriel s’excusant de ne pas pouvoir être là, Sylvain Tesson prévenait son hôte. « Et comme je grelotterai à 5 000 mètres d’altitude dans une grotte d’affût, je penserai bien à vous en me disant : “J’aurais mieux fait d’aller rue Scribe.” »