Maître de recherches au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), le professeur Maxime Compaoré dirige l’Atelier de recherche sur l’éducation au Burkina Faso (AREB). Il porte un regard critique sur la qualité de l’offre éducative au « pays des hommes intègres ».

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L’AREB vient de publier un ouvrage collectif sur l’évolution du système éducatif burkinabé de 1960 à nos jours. Que peut-on en retenir ?

Maxime Compaoré Cette évolution peut être appréciée sous divers angles. Si l’on considère le taux brut de scolarisation, le bilan est positif. Alors qu’au début des indépendances, on tournait autour de 6 %, les derniers chiffres du ministère de l’éducation nationale, qui datent de 2016, parlent de 86 %. Ce fort taux de scolarisation est à mettre au compte du Plan décennal de l’éducation de base [adopté en 2000 sous le régime de Blaise Compaoré].

Cependant, ces chiffres révèlent aussi des disparités entre les zones urbaines, où l’on frôle les 100 %, et certaines zones rurales, qui peinent à dépasser les 50 %. Le second constat, c’est que cette évolution a été tributaire des différents régimes qui se sont succédé et des programmes de développement des bailleurs de fonds.

Infographie "Le Monde"

En un demi-siècle, l’école burkinabée a-t-elle évolué ?

Elle garde sa coloration néocoloniale. On y retrouve les concepts pédagogiques occidentaux, centrés sur l’appropriation personnelle des connaissances par l’enfant. Des efforts ont été faits pour adapter cette école aux besoins réels des populations, mais sans succès. Les savoirs locaux sont généralement ignorés dans les écoles classiques. A partir de 1979, des réformes ont été conçues et expérimentées dans ce sens. Malheureusement, aucune n’a abouti.

Pourquoi ?

A chaque changement de régime, les réformes lancées par les prédécesseurs ont été remises en cause. En 1976 [sous la présidence du général Lamizana], l’Etat avait conclu que l’école « est improductive et culturellement aliénante parce qu’elle enseigne des valeurs étrangères dans une langue étrangère ». Une réforme avait été mise en place trois ans plus tard pour démocratiser l’école et favoriser le développement d’une culture authentique en généralisant l’utilisation des langues nationales comme langues d’enseignement. Elle a été interrompue en 1984 par le régime révolutionnaire de Thomas Sankara, pour des raisons idéologiques.

En outre, l’opinion publique a souvent été hostile à certaines grandes orientations qui n’avaient pas été bien comprises. Les milieux intellectuels s’étaient ainsi opposés à l’utilisation des langues locales, considérant qu’il s’agissait d’une école au rabais. Sous la révolution de Thomas Sankara, la même difficulté s’était posée avec la réforme sur la ruralité de l’école.

La classe africaine : état de l’éducation en Afrique
Durée : 01:56

En quoi l’utilisation des langues et des savoirs locaux est-elle importante dans l’éducation ?

Les langues locales permettent de sauvegarder l’identité culturelle de l’enfant et favorisent son développement psychomoteur, affectif et cognitif. En clair, elles facilitent l’acquisition du savoir. Pour les savoirs locaux, il faut arriver à les circonscrire et à définir de façon consensuelle quel rôle leur octroyer. On peut par exemple vulgariser l’usage du conte communautaire dans l’apprentissage. Si l’on consent que nous sommes une population essentiellement agricole, une école qui ne prend pas en compte cette dimension n’est pas conforme aux attentes de la population. Nous devons accepter de puiser dans le milieu local ce qui peut faciliter certaines acquisitions.

Depuis les années 2000, l’alphabétisation de masse a été privilégiée au détriment d’un enseignement de qualité. Comment rendre le système plus performant ?

La massification ne favorise pas l’atteinte des résultats escomptés, car les taux d’achèvement sont bas au fur et à mesure que l’on remonte les cycles d’étude. Les enseignants dénoncent la lourdeur des programmes et l’inadaptation des manuels scolaires. Cependant, quelques initiatives ont été entreprises pour corriger ces faiblesses, comme la pédagogie des grands groupes, qui consiste à faire passer progressivement les élèves de l’apprentissage individuel à l’apprentissage collaboratif, pour travailler en interaction avec leurs camarades.

Pour être qualitative, l’offre scolaire doit accorder une attention particulière à la formation des enseignants. On doit mettre l’accent sur la pratique et revoir à la hausse le niveau de recrutement des enseignants du primaire : passer par exemple du brevet d’études au baccalauréat. Cela entraînera une revalorisation du statut des enseignants, ce qui permettra d’attirer davantage ceux qui ont la vocation.

Sommaire de notre série La classe africaine

Présentation de notre série : La classe africaine

De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.