Une image de synthèse du Grand Palais à Paris après sa rénovation. / AGENCE LAN

La ministre de la culture, Françoise Nyssen, l’a annoncé lundi 12 février : le Grand Palais sera fermé pour travaux, de décembre 2020 au printemps 2023 pour la nef et les galeries d’expositions, et jusqu’en juin 2024 pour le Palais de la découverte. Ce calendrier ne pourra pas supporter trop de retard car la nef doit accueillir les épreuves d’escrime des Jeux olympiques 2024. Le projet était à l’étude depuis plusieurs années, ayant été porté d’abord par Jean-Paul Cluzel, en sa qualité de président de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMNGP) de 2009 à 2016. Il revient à Sylvie Hubac, qui lui a succédé, de le réaliser.

En annonçant décision et calendrier, Françoise Nyssen met un terme à une longue suite de reports et de réestimations des coûts. En 2010, le nouveau Grand Palais était promis pour 2017, après une rénovation estimée à 236 millions d’euros, mais Nicolas Sarkozy ne s’intéressa pas au dossier. En 2015, sous François Hollande, le lancement de travaux fut annoncé pour le second semestre 2019 « au plus tôt », pour une durée prévue de deux ans et un coût de 390 millions d’euros, dont 150 millions financés par un emprunt de la RMNGP – une solution inventée par Jean-Paul Cluzel, qui a réussi à la faire admettre en dépit de sa nouveauté. Ce sera donc finalement à partir de fin 2020, pour plus de trois ans et un budget de 466 millions, les derniers obstacles budgétaires ayant été levés par l’Elysée.

Que le Grand Palais doive être restauré et réaménagé, on le sait depuis longtemps : au moins depuis juin 1993, quand la chute d’un rivet du haut de la charpente de la verrière avait contraint le ministre de la culture de l’époque, Jacques Toubon, à ordonner sa fermeture pour plusieurs mois. Il était apparu que la structure tout entière était en voie de dégradation. Les conditions et le lieu de sa construction l’expliquent. Le « Grand Palais des Beaux-Arts » a été construit, en trois ans, pour l’Exposition universelle de 1900. Il fallait faire grand, haut et vite. Ce qui fut réussi en tirant parti des technologies les plus modernes alors disponibles. La structure métallique, d’un poids total supérieur à 9 000 tonnes, fut non pas fondée sur un sol stable, mais posée sur une sorte de « radeau », soutenu par 3 400 pieux de chêne qui s’enfonçaient dans le sol rendu humide par la proximité de la Seine et de la nappe phréatique. L’eau conservait intacts les pieux qui y baignaient.

Métamorphose architecturale

Quand le niveau de la nappe phréatique a baissé – sécheresses, régulation du fleuve en amont –, les pieux ont commencé à pourrir à l’air libre. De petits affaissements déstabilisèrent peu à peu la structure métallique, jusqu’à ce qu’un point de jonction cède et qu’il faille consolider les fondations, ce qui fut fait en 1993. Il a fallu recommencer en 2005, côté verrière pour l’étanchéité, côté sous-sol pour renforcer à nouveau l’ancrage.

Depuis, le bâtiment était en sursis. « La ­rénovation d’ensemble a été périodiquement envisagée mais toujours reportée, affirme sans ambages le dossier de présentation des travaux. Pour ces raisons, le monument se trouve aujourd’hui affecté par de graves désordres sanitaires. De larges surfaces sont délaissées et inexploitées, de nombreux espaces sont fermés au public, faute de conformité aux normes de sécurité. »

Principale nouveauté : l’ouverture d’une « rue des Palais », du square Jean-Perrin, côté Champs-Elysées, au Jardin de la Reine, côté Seine

Au-delà des travaux nécessaires pour soigner un centenaire fragile, il s’agit aussi de faire du Grand Palais un ensemble qui fonctionne tout autrement qu’aujourd’hui. Métamorphose architecturale et redéfinition des missions vont de pair. La première de celles-ci, selon Sylvie Hubac : « L’ouvrir, y faire entrer des publics qui n’y viennent pas. A l’heure actuelle, pour y entrer, il faut acheter un billet pour une exposition dans les Galeries nationales ou une manifestation sous la nef. Rien n’est en accès libre, et les touristes qui souhaitent visiter le bâtiment pour lui-même ne le peuvent pas. »

De là, la principale nouveauté : l’ouverture d’une « rue des Palais ». Du square Jean-Perrin, côté Champs-Elysées, au Jardin de la Reine, côté Seine, elle sera traversante et ouverte au libre passage. Elle sera à deux niveaux : celui qui est aujourd’hui le rez-de-chaussée, si l’on peut dire, du bâtiment et, en dessous, celui de ce qui abritait, à l’origine, des rampes de circulation pour chevaux et véhicules. Elles ont été coupées et masquées par des aménagements ultérieurs, jusqu’à devenir invisibles. Il s’agit donc pour l’architecte chargé du chantier, François Chatillon, et l’agence LAN qui l’accompagne de retrouver les volumes initiaux et de créer un espace d’accès et de distribution des visiteurs. La rue des Palais elle-même ouvrira sur des salles gratuites : « Salle sur l’histoire du Grand Palais, librairie-boutique, salle d’immersion dans les collections, galerie des enfants, énumère Sylvie Hubac. Nous voulons en faire un lieu où il sera possible et gratuit de venir juste passer un moment et de profiter de ces ressources. »

« Un lieu de rencontres entre les savoirs »

Ce sera aussi le chemin pour accéder au Palais de la découverte et aux galeries d’exposition – ce qui devrait permettre d’en finir avec les files d’attente sous la pluie ou dans le froid les jours d’affluence. Enfin, le nouvel espace établira une connexion entre le Palais de la découverte, qui n’est accessible aujourd’hui que par son entrée avenue Franklin-Roosevelt, et les Galeries nationales et la nef, côté avenue Winston-Churchill. Plus besoin de faire le tour par l’extérieur pour qui voudrait profiter des différents lieux.

A cette continuité spatiale doit répondre une coordination entre les différents occupants, jamais réalisée depuis la création du Palais de la découverte, en 1937. Sylvie Hubac veut un « ensemble culturel, un lieu de rencontres entre les savoirs », y compris les savoirs scientifiques. C’est aussi le discours de Bruno Maquart, président d’Universcience, l’établissement public qui gère le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie. Ensemble, ils se disent partisans « de plus de dialogue entre les différents secteurs, de l’intégration des sciences dans des projets ­communs » et d’une meilleure réactivité à l’actualité. « Cette maison, affirme Bruno Maquart, n’a pas vocation à montrer seulement des objets, mais des hommes et leurs travaux. » L’accent devrait donc être mis sur « une actualisation beaucoup plus rapide et beaucoup plus flexible » des présentations, pour que les visiteurs soient informés des recherches en cours.

La nouvelle programmation se fonderait sur une collaboration plus étroite avec les grands musées parisiens

Les technologies du numérique seront plus largement employées. « Il doit devenir possible pour les visiteurs d’assister en direct à une opération chirurgicale de pointe qui aurait lieu au même moment à Toulouse ou à Brooklyn », dit-il. Même réflexion en cours côté RMNGP, où le succès de fréquentation de l’exposition « Sites éternels », en 2016, qui traitait des destructions du patrimoine par faits de guerre et de religion à notre époque, semble avoir convaincu l’institution qu’elle doit être mieux en phase avec le présent. Celle-ci doit se saisir, plaide Sylvie Hubac, de « thèmes de société à dimension philosophique, anthropologique, sociologique ou politique », tout en conservant sa part d’histoire de l’art, en s’adressant autant aux néophytes qu’aux connaisseurs à travers des « lectures panoramiques et des expositions thématiques ».

Plus généralement, ces travaux, suggère Sylvie Hubac, doivent être l’occasion de « faire une programmation mieux construite entre différents lieux parisiens. Il faut concevoir des saisons, afin que les actions du secteur public culturel soient plus concertées. Ainsi éviterait-on les doublons ». Cette programmation se fonderait sur une collaboration plus étroite avec les grands musées parisiens. Reste à savoir ce qu’accepteront certains d’entre eux, jaloux d’une autonomie qui n’a cessé de s’accroître, au Louvre comme à Orsay, dans les dernières décennies. Redéfinir les relations entre eux et le Grand Palais, qui serait un « monument-monde » – autant dire le vaisseau amiral –, et introduire de la cohérence dans la programmation des expositions : le projet est aussi logique que périlleux.

Sur le Web : www.grandpalais.fr

Le Grand Palais en quelques chiffres

ESPACES

Galeries nationales : aujourd’hui 3 092 m2 de ­surface d’exposition, après ­travaux 3 962 m2 en six ­galeries modulables (gain de 31 %).

Galeries événementielles (foires, manifestations sportives, etc.) : aujourd’hui 17 918 m2, dont 13 500 m2 pour la nef ; après travaux 22 254 m2, dont 17 255 m2 pour la nef et les balcons (gain de 24 %).

Concessions (restaurants, librairie-boutique, etc.) : aujourd’hui 550 m2, après travaux 1 057m2 ( gain de 92 %).

BUDGET

Budget total des travaux : 466 millions d’euros.

Subvention du ministère de la culture : 128 millions d’euros.

Subvention du grand plan d’investissement : 160 millions d’euros.

Emprunt RMNGP : 150 millions d’euros.

Mécénat Chanel : 25 millions d’euros.

Universcience : 3 millions d’euros.

Travaux du Grand Palais : Chanel investit 25 millions d’euros

Le groupe de luxe Chanel sera le mécène exclusif du projet de rénovation et d’aménagement du Grand Palais. « Nous allons consacrer 25 millions d’euros » à ce chantier de 466 millions, a indiqué au Monde Bruno Pavlovsky, président des activités mode de Chanel. Depuis 2005, les défilés du directeur artistique Karl Lagerfeld ont métamorphosé le Grand Palais en salle de théâtre dévastée, terminal d’aéroport, brasserie… « Les défilés auront lieu dans une structure temporaire le temps des travaux, avant de revenir au Grand Palais », a précisé M. Pavlovsky. Chanel finance aussi le Palais Galliera à (4,6 millions d’euros), et a lancé un ensemble immobilier porte d’Aubervilliers, pour abriter les équipes des métiers d’art.