Manifestation de soutien aux libraires disparus, dont Gui Minhai (photo de gauche), à Hongkong, en janvier 2016. / VINCENT YU/AP

L’éditeur « disparu » Gui Minhai, ressortissant suédois, est réapparu, vendredi 9 février, en détention, dans la diffusion, par des médias chinois et de Hongkong, d’un entretien qu’il leur a accordé dans les locaux de la police de Ningbo, sa ville natale en Chine. Un Gui Minhai apparemment détendu y accuse la Suède d’avoir voulu le manipuler à des fins politiques. La presse chinoise annonce de son côté que M. Gui est désormais « soupçonné d’être impliqué dans des activités mettant en danger la sécurité nationale », une accusation grave susceptible de retarder toute aide consulaire.

Gui Minhai faisait partie des cinq libraires et éditeurs de Hongkong connus pour la publication d’ouvrages à sensation sur les dirigeants chinois, enlevés une première fois entre fin 2015 et début 2016 avant de réémerger en détention en Chine.

M. Gui avait, lui, refait surface à la télévision officielle chinoise pour s’accuser d’un accident de la route à Ningbo, en 2003, dont il avait fui les responsabilités légales. Il fut officiellement relâché dans cette ville, où réside sa mère, le 17 octobre 2017, après deux ans de détention. Mais sa fille, Angela Gui, qui anime une campagne de soutien depuis Londres, a vite émis des doutes sur la réalité de sa libération. M. Gui présenterait en outre les symptômes d’une maladie dégénérative nécessitant des examens.

Le 20 janvier, sa « récupération » par des agents chinois alors qu’il se rendait à Pékin en compagnie de deux diplomates suédois avait choqué. L’affaire est alors devenue un point de ralliement pour les gouvernements européens. M. Gui fut débarqué de force du train à grande vitesse reliant Shanghaï à Pékin en gare de Jinan par une dizaine d’hommes en civil. Le gouvernement suédois avait d’abord convoqué l’ambassadeur de Chine à Stockholm.

Le 24 janvier, l’Union européenne avait exprimé son soutien entier à la Suède. Stockholm, critiqué par son opinion publique pour sa passivité, avait fini par condamner « l’intervention brutale » des autorités chinoises. Puis, le 6 février, l’ambassadeur allemand en Chine s’indignait à son tour de la « manière sans précédent dont un citoyen européen avait été traité », car ces « violations des lois internationales (…) pourraient toucher d’autres citoyens européens dans l’avenir ».

« Le pion de la Suède »

La conférence de presse du 9 février est manifestement une réponse à la mobilisation européenne – sans bien sûr convaincre. Une porte-parole du ministère des affaires étrangères suédois a expliqué le lendemain qu’elle continuerait à exiger que « [son] citoyen puisse avoir accès au personnel consulaire et médical suédois ».

Les ONG de défense des droits de l’homme rappellent le recours fréquent par la Chine à ces mises en scène télévisées : « L’exercice montre à la fois le ridicule de la situation et combien le gouvernement chinois réagit aux pressions internationales : M. Gui arrive devant les journalistes entre deux policiers. Aucun journaliste occidental n’a été convié. Ensuite, il parlerait “librement” mais n’a accès ni à un avocat ni aux diplomates suédois », explique Patrick Poon, d’Amnesty International à Hongkong.

M. Gui « n’était évidemment pas libre, et sous des pressions intenses », estime une source au South China Morning Post, grand quotidien de Hongkong dont les journalistes ont été conviés à Ningbo. M. Gui leur a expliqué qu’après deux ans de détention, son affaire de « commerce illégal » – une référence à la diffusion en Chine des livres de sa maison d’édition – n’était « pas encore conclue » et qu’il ne pouvait quitter la Chine.

Mais que les diplomates suédois n’avaient cessé de l’inciter à le faire, prétextant son état de santé. Or, les médecins chinois, a-t-il précisé, l’attribuent à un problème cervical et non à la maladie de Charcot. « Je suis devenu le pion de la Suède. Sous leur instigation, j’ai donc de nouveau enfreint la loi. Je ne leur ferai plus jamais confiance », poursuit-il. M. Gui affirme ensuite vouloir « vivre en Chine ».

Selon plusieurs sources, la Chine souhaitait punir davantage M. Gui, ou comptait sur lui pour coopérer au sujet de ses activités à Hongkong, mais manquait d’arguments légaux pour le faire en raison de son statut de ressortissant étranger. Elle avait donc obtenu de M. Gui, possiblement en faisant pression sur sa famille, qu’il ne quitte pas le pays et informe la police de ses déplacements – sans vraie justification légale.

La presse officielle chinoise est passée à l’offensive contre Stockholm. Le Global Times, principal vecteur de la propagande vis-à-vis de l’étranger, éreinte la Suède, un « pays relativement petit », qui se serait lancée dans une aventure périlleuse « digne de Hollywood ». « Son rôle de “force spéciale” des droits de l’homme occidentaux est présomptueux », prévient le quotidien nationaliste.