Biathlon ? Pyeongchang 2018 Winter Olympics ? Men?s 12,5 km Pursuit Final ? Alpensia Biathlon Centre - Pyeongchang, South Korea ? February 12, 2018 - Martin Fourcade of France finishes. REUTERS/Toby Melville TPX IMAGES OF THE DAY SEARCH "OLYMPICS BEST" FOR ALL PICTURES. / TOBY MELVILLE / REUTERS

« C’est un sport compliqué », a lâché le biathlète français Antonin Guigonnat après avoir effacé les stalactites qui s’accrochaient à sa barbe, et c’était un rappel utile. Car Martin Fourcade venait de conquérir l’or olympique que chacun lui promettait depuis la veille, et « compliqué » n’était pas le mot qui venait à l’esprit. Le scénario avait déjà été tourné tant de fois, il y a quatre ans à Sotchi notamment, lorsque l’immense déception du sprint avait été suivie d’une démonstration sur la poursuite. On avait déjà vu ce tir enchaîné sur le dernier passage face aux cibles, ce poing brandi vers la tribune et cette ligne droite d’arrivée, drapeau tricolore en main.

On était pourtant loin de la Russie, lundi 12 février, dans le stade de biathlon de Pyeongchang, où le ski nordique suscite autant d’intérêt que le curling dans nos contrées. Une tribune a été posée là, c’était dans le cahier des charges, et quelques supporteurs allemands, italiens ou français, souvent de la famille des biathlètes, viennent y passer des soirées délicieuses rythmées par les commentaires, la musique assourdissante et les allers-retours dans un abri où l’on se ravitaille en chaufferettes pour sauver ses extrémités.

Les caméras et anneaux olympiques sont là pour rappeler l’enjeu, mais l’euphorie, forcément, n’était pas la même. « Il y a quatre ans, je jouais ma vie pour devenir champion olympique ; aujourd’hui, j’étais déjà champion olympique, rappelle Martin Fourcade. En termes de joie, c’est différent. L’émotion n’est pas moins forte, mais il y a quatre ans, c’était le bouchon de champagne qui sautait. »

Il a tout de même sauté dans la nuit, au Club France de Pyeongchang, surtout pour l’encadrement. Martin Fourcade a rejoint son lit à 3 heures du matin après avoir satisfait avec gourmandise à toutes les sollicitations médiatiques, et en est sorti dès 9 heures : impossible de dormir, lui qui comptait sur une grasse matinée. S’il y a une chose qui n’a pas changé depuis les Jeux de Sotchi, c’est le fuseau horaire sur lequel vivent Martin Fourcade et les biathlètes depuis leur arrivée en Corée du Sud : coucher vers 2 heures du matin et lever à midi pour le petit déjeuner. Sauf les lendemains de victoire…

Message de Killy avant la course

A midi, ce lundi 12 février, Martin Fourcade s’était levé du pied gauche. Il ne comprenait pas d’où pouvaient venir ses trois fautes au tir couché de la veille, du jamais-vu pour lui depuis treize mois. Puis une photo l’avait aiguillé : le fanion était plus tendu qu’il ne le pensait, le Français n’avait pas ajusté ses réglages. « Ce n’était en aucun cas de la malchance ni quelque chose de surnaturel, c’était à cause de moi. A partir de ce moment-là, ça a été beaucoup plus facile de transformer cette peine, cette désillusion, cette colère, en énergie positive. C’est très masochiste comme démarche. »

Biathlon ? Pyeongchang 2018 Winter Olympics ? Men?s 12,5 km Pursuit Final ? Alpensia Biathlon Centre - Pyeongchang, South Korea ? February 12, 2018 - Martin Fourcade of France competes. REUTERS/Murad Sezer / MURAD SEZER / REUTERS

Au réveil, son téléphone lui promettait l’or, amis, anonymes, légendes : Jean-Claude Killy était de cette foule convaincue. « Comme d’habitude, je suis le seul à ne pas y croire, parce que je suis le seul qui réalise sur la piste à quel point c’est difficile. » A l’arrivée au stade, il avait suivi la dernière boucle d’Anaïs Bescond, ciment du groupe féminin, qui accompagnait sur le podium l’Allemande Laura Dahlmeier et la Slovaque Anastasia Kuzmina. Avec cette médaille de bronze, le compteur du biathlon, sur lequel compte tant le ski français, était débloqué.

Non que Martin Fourcade en ait ressenti une quelconque pression. « Il arrive énormément à gérer ses émotions, ça fait même parfois peur quand on est avec lui, dans des événements familiaux par exemple, disait son frère Simon, remplaçant aux Jeux et ému aux larmes. Maintenant, il est complètement libéré. Et un Martin libéré, je n’ai besoin de dire à personne ce que ça peut donner. »

Priorité au relais

Jean-Claude Killy et ses trois titres olympiques de Grenoble, il y a exactement cinquante ans, sont rejoints. Le champion de canoë Tony Estanguet, l’ami de Fourcade, aussi. Le biathlète domine tant son sport qu’il est attendu plus haut encore. Plus haut que les quatre titres olympiques des escrimeurs Lucien Gaudin, dans les années 1920, et Christian d’Oriola, après-guerre. A la hauteur d’Ole Einar Bjoerndalen et ses cinq titres individuels, pour lui contester le titre de plus grand de son sport.

Le Norvégien compte aussi trois titres en relais, mais dans cette discipline dominée par les Scandinaves, Martin Fourcade se contenterait volontiers d’une médaille après laquelle il court toujours. « S’il n’y a qu’une médaille à aller chercher maintenant, c’est celle du relais. Ce sont des Jeux déjà réussis. Mais je suis compétiteur : dès que j’enfilerai le prochain dossard, ce sera pour essayer de refaire ce que j’ai fait. Mais je ne vais pas faire de pari, on est sur un site délicat [en raison du vent]. »

Le réveil de son grand rival Johannes Boe, maladroit depuis le début des Jeux, et plus largement des Norvégiens – fanny chez les hommes –, est attendu dès jeudi, pour le 20 kilomètres. « Un gars comme Boe, on ne peut pas l’enterrer, prévient l’entraîneur de tir Franck Badiou. On peut s’attendre à un joli duel. Mais Martin va être en chasse gardée, sur son domaine. Il ne lâchera pas. »