Les locaux de Quantic Dream. / CORENTIN LAMY / « LE MONDE »

Le groupe d’étude sur le jeu vidéo en cours de constitution à l’Assemblée nationale se désintéressera-t-il des conditions de travail du secteur ? C’est ce que redoutent le jeune Syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV) et le sénateur socialiste de la Saône-et-Loire Jérôme Durain, alors que, depuis le début de l’année, plusieurs enquêtes publiées par Le Monde, Mediapart, Canard PC ou encore Gamekult évoquent de manière concordante une culture de la surcharge de travail, des salaires modestes et dans certains cas, un management oppressant.

« Nous regrettons évidemment que ce groupe d’étude ne considère pas nos conditions de travail comme un sujet digne d’intérêt, écrit le STJV dans un communiqué publié lundi 12 février sur son site. L’Assemblée clame que nous sommes une industrie de pointe, une fierté nationale dont il faut brandir les chiffres et s’enorgueillir, tout en fermant les yeux sur les entorses aux droits des femmes et des hommes qui la font vivre. »

Interrogé par Le Monde, Jérôme Durain, à l’origine de la loi sur l’encadrement de l’e-sport et « jeu vidéo-friendly » (qu’on pourrait traduire par « ami du jeu vidéo »), comme il se définit, a rappelé, pour sa part, la nécessité pour les entreprises de respecter le code du travail :

« Le jeu vidéo n’est pas un secteur exorbitant du droit commun. Nous avons de belles entreprises, de beaux créateurs, mais, pour que le jeu vidéo appartienne à tout le monde et que tout le monde se l’approprie dans le patrimoine commun, il faut aussi qu’il soit soumis aux règles communes. »

Jérôme Durain cible en particulier les problématiques de « crunch » : des semaines pouvant excéder les soixante heures de travail en période de bouclage. Un phénomène « inquiétant, juge-t-il. « Or le numérique, ce ne peut pas être le retour au XIXe siècle. »

« Mépris face à ce que vivent les travailleurs »

A l’origine de ces inquiétudes, la réponse du député chargé de la constitution du groupe « jeu vidéo » à l’assemblée, Denis Masséglia, à une question du Monde portant sur les conditions de travail au sein de la société parisienne Quantic Dream, dénoncées par plus d’une vingtaine d’actuels ou anciens employés. « Je refuse de généraliser la situation que vous évoquez », avait écarté le député La République en marche du Maine-et-Loire, opposant la liberté de choix des employés :

« Il faut avoir un regard mais pas stigmatiser. Il y a des règles et des lois qui protègent les salariés. Et dans ce secteur, il y a plus d’offres que de demandes, libre à chacun d’aller où bon lui semble. »

« Denis Masséglia montre sa méconnaissance des conditions de recrutement de notre industrie, et son mépris face à ce que vivent les travailleurs et les travailleuses, tous secteurs professionnels confondus », estime pour sa part le STJV.

« Si, dans certains domaines (comme l’ingénierie), il est relativement facile d’être mobile, de rebondir et de changer d’entreprise, c’est tout simplement faux pour la plupart des métiers de notre industrie. En outre, de nombreuses personnes n’ont pas les moyens, le temps ou l’énergie nécessaires pour repartir sur un marché du travail à ce point concurrentiel, par exemple du fait de leur situation familiale, financière ou de santé. »

De son côté, Jérôme Durain estime que « Denis Masséglia s’est exprimé dans une optique pro-business, il est manifestement mandaté pour faire tourner la boutique. Mais si on veut bien faire les choses, il faut regarder ce qui marche, mais aussi ce qui ne marche pas, et essayer d’améliorer le tout. » Le sénateur socialiste avait, par ailleurs, adressé une question à l’assemblée concernant les « loot box », les caisses à contenu aléatoire payant dans les jeux vidéo – question restée sans réponse.

Le syndicat du jeu vidéo veut identifier « les bonnes pratiques »

Les problématiques sociales font l’actualité du secteur depuis janvier. Au début de février, le Syndicat national du jeu vidéo, principale entité de défense des entreprises françaises, s’est donné comme chantier pour 2018 d’identifier « les bonnes pratiques en matière de gestion managériale » et « les freins à l’épanouissement des collaborateurs ».

Après les révélations du Monde, de Mediapart et de Canard PC concernant la culture d’entreprise de la société Quantic Dream, la conseillère municipale de Paris Danielle Simonnet (La France insoumise), a de son côté émis le 6 février le souhait que la Ville « engage enfin une réflexion pour rendre contraignantes les aides accordées aux entreprises, avec clause de remboursement en cas de non-respect de ces clauses et de la loi ».

Quantic Dream a réagi sur son compte Twitter en dénonçant « une campagne de dénigrement de la part de quelques médias », et réfuté encore une fois « catégoriquement les allégations formulées contre le studio, ses salariés, ses dirigeants ».