La Kaaba, au cœur de la mosquée de La Mecque. / Amr Nabil / AP

Après #BalanceTonPorc, le hashtag #MeToo, lancé sur Twitter dans la foulée de l’affaire Weinstein à l’automne 2017, fait de nouveau des émules. Sur #MosqueMeToo (MosquéeMoiAussi, en français), des femmes musulmanes relatent leurs expériences de harcèlement et d’agressions sexuelles lors du hadj, le pèlerinage rassemblant plus de deux millions de fidèles chaque année à La Mecque, en Arabie saoudite.

Depuis son lancement mardi 6 février, le hashtag a essaimé dans le monde entier : des milliers de tweets en anglais, en turc, en arabe dialectal et en farsi ont été publiés, à l’image de l’éventail, très varié, des croyants présents à La Mecque. En 2017, deux tiers des pèlerins étaient étrangers (soit 1,313 million de personnes) et la moitié étaient des femmes.

Plus de 2 000 tweets en vingt-quatre heures

C’est l’éditorialiste et autrice américano-égyptienne Mona Eltahawy qui est la première à avoir utilisé le hashtag #MosqueMeToo, en partageant un article passé jusqu’alors inaperçu sur le harcèlement sexuel subi par certaines femmes lors du pèlerinage.

« Il y a quelques années, j’ai commencé à raconter que j’avais été agressée sexuellement pendant le hadj. J’ai écrit dessus dans mon livre en 2015. C’est difficile de parler des agressions qui arrivent dans des lieux sacrés. J’espère que toutes celles qui prennent la parole aujourd’hui peuvent aider celles qui, pour quelque raison que ce soit, ne peuvent pas parler maintenant. »

L’article, publié le 5 février sur le média anglophone à destination des jeunes du monde arabe StepFeed, relaie notamment le témoignage de Sabica Khan, une Pakistanaise musulmane ayant raconté sur Facebook son expérience à La Mecque. Tandis qu’elle faisait le tawaf (rituel consistant à tourner sept fois autour de la Kaaba), des hommes ont touché avec insistance, puis pincé ses fesses. De nombreuses femmes avaient alors répondu à son statut Facebook, racontant qu’elles avaient vécu les mêmes agressions.

« Je n’ai jamais autant été harcelée que dans la ville sainte »

La création du hashtag #MosqueMeToo a permis de multiplier les témoignages et de les rendre plus visibles : en quelques heures, il est devenu l’un des dix les plus utilisés en Iran le 6 février.

« C’est l’une des raisons pour laquelle je ne dis jamais “oui”, lorsqu’on me demande si je veux retourner à La Mecque. Je n’ai jamais autant été harcelée que dans la ville sainte », explique une femme sur Twitter.

« Les gens pensent que La Mecque est le lieu le plus sacré pour les musulmans et donc que personne n’y ferait rien de mal. C’est totalement faux, explique une blogueuse indonésienne vivant en Italie. Une fois, quelqu’un a touché mes seins, puis les a pressés. J’étais choquée. Le mec derrière moi a fait semblant de ne rien avoir fait et a filé. J’étais tellement choquée que j’ai juste fondu en larmes en silence. »

Se taire au nom de l’islam, « c’est à la fois injuste et oppressant »

Mona Eltahawy, qui se définit comme « musulmane libérale », inscrit sa prise de parole dans une démarche féministe, qu’elle avait entamée en 2015 en publiant son ouvrage Voiles et Hymens : pourquoi le Moyen-Orient a besoin d’une révolution sexuelle :

« Cela m’a pris des années avant que je puisse parler des attouchements [subis] pendant le hadj. J’ai gardé le silence non seulement à cause de la honte mais aussi pour que les musulmans n’aient pas une mauvaise image. Même, aujourd’hui, quand je dis avoir [subi] des attouchements pendant le hadj, je suis accusée d’inventer ou j’entends dire que je calomnie l’islam. »

Face aux critiques venant d’internautes musulmans accusant le hashtag de « salir l’islam », l’éditorialiste du Guardian, Aisha Sarwari, rejoint la démarche de Mona Eltahawy, soulignant dans un tweet que « les femmes musulmanes comme les autres femmes souffrent de harcèlement, mais quand cela arrive dans un contexte religieux, on leur demande de se taire au nom d’une cause plus grande. C’est à la fois injuste et oppressant. »