Morgan Tsvangirai n’est pas mort. Il respire, souffre sans doute, mais il est en vie. Au Zimbabwe, où il est le principal opposant, les structures de santé sont saccagées par la gestion calamiteuse de la fin de l’ère Mugabe. Un malade qui en a les moyens part se faire soigner à l’étranger. Morgan Tsvangirai, 65 ans, a choisi l’unité de cancérologie d’un hôpital de Johannesburg, en Afrique du Sud. Il est sans doute dans la phase terminale d’un cancer du colon qu’il avait rendu public en 2016. Selon des sources, il lui est difficile de parler.

Autour de lui s’agitent les prétendants à la direction du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), et tant pis si le chef n’est pas mort : les ambitieux sont prêts à enjamber son corps endolori pour arriver en premier dans la course à la succession. Luke Tambolinyoka, le porte-parole de M. Tsvangirai, les accuse d’être des « vautours » et brandit de faux documents « signés grâce à Photoshop » et distribués par les pirates qui tentent de prendre le parti à la hussarde.

Lui soutient Nelson Chamisa, l’un des vice-présidents, et assure, comme d’autres responsables du parti, que ce dernier est bien le président par intérim souhaité par Morgan Tsvangirai quand ce dernier avait encore toutes ses facultés. Deux autres vice-présidents, Elias Mudzuri et Thokozani Khupe, tentent de s’imposer comme successeurs.

Pour ce faire, M. Mudzuri a fait le voyage jusqu’à Johannesburg et s’est assuré la complicité d’une partie de la famille Tsvangirai, qui filtre les visiteurs. Il a été admis, sans témoin, dans la chambre du mourant et, sitôt sorti, a affirmé à qui voulait l’entendre que le président du MDC venait de lui confier les rênes du parti. Pendant ce temps, Mme Khupe répète qu’elle est la seule à pouvoir revendiquer cette fonction, ayant été élue lors d’une conférence du parti et non désignée après-coup, comme l’ont été Nelson Chamisa et Elias Mudzuri.

Une visite de courtoisie d’Emmerson Mnangagwa

Comme si cela n’était pas assez compliqué, la famille s’en mêle et se dispute. D’un côté, le fils et le frère de Tsvangirai, leurs épouses respectives et quelques autres se serrent les coudes et gardent la porte de la chambre du Wits Donald Gordon Medical Centre, à Johannesburg. Ils interdisent le passage, notamment, à la dernière épouse de Tsvangirai, Elizabeth, vingt-cinq ans plus jeune que lui.

Cette dernière soutient la candidature de Chamisa, contre l’avis de la famille. Et les accusations fusent. On rappelle par exemple qu’Elizabeth vient d’une grande famille de la ZANU-PF, le parti au pouvoir, ennemi exécré qui martyrise les militants et parfois les responsables du MDC depuis presque vingt ans. Morgan Tsvangirai a failli être tué deux fois par les sbires de Robert Mugabe.

Mais avec sa maladie, quelque chose a changé. Le gouvernement a payé certains de ses frais médicaux, avant de formaliser la chose en lui assurant un traitement d’ex-premier ministre (il a occupé ce poste dans un gouvernement d’union nationale entre 2009 et 2013). Avant qu’il ne soit obligé de quitter précipitamment Harare en raison de la dégradation de son état de santé, Tsvangirai avait reçu une visite de courtoisie d’Emmerson Mnangagwa, l’actuel président zimbabwéen, qui a profité de la chute de Mugabe mais appartient au même parti et avait même été l’un des grands ordonnateurs des violences contre le MDC.

Pour le pouvoir zimbabwéen, ces divisions du MDC sont une aubaine. Des élections générales doivent être organisées « avant juillet », a rappelé récemment le président Mnangagwa. Or, au fil des années, gangrené par les divisions, l’appât du gain, les rivalités et gouverné comme une propriété personnelle par Morgan Tsvangirai, le MDC avait périclité, sa base en partie lassée du combat, ses dirigeants multipliant les scissions.

Mais, en août 2017, une Alliance (c’est son nom) a été mise sur pied pour associer au MDC-T (pour Tsvangirai) sept autres partis, dont ceux dirigés par Tendai Biti et Welshman Ncube. Ces derniers soutiennent Nelson Chamisa et leur tendance gagne du terrain au sein du parti. La branche de Bulawayo, la ville dont est originaire Thokozani Khupe, a par exemple sèchement remis à sa place la vice-présidente du MDC, assurant ne pas la tenir pour la présidente du parti par intérim. « Chamisa, c’est le seul véritable joueur dans cette affaire, et il a le soutien de la base », affirme une source influente au sein du MDC.

Des inconnus se font passer pour des « parents »

Une nouvelle dynamique est en train de naître, une sorte de recollage de la famille MDC. « Ce sera peut-être l’occasion de changer de nom et de réinventer ce parti, sans Morgan Tsvangirai », analyse Piers Pigou, spécialiste du Zimbabwe à l’International Crisis Group (ICG). Cet effort centripète a de quoi inquiéter la ZANU-PF, qui a ses propres divisions après la mise à l’écart de Mugabe, en novembre. Une partie de ses militants et responsables sont encore braqués contre le nouveau pouvoir zimbabwéen, ayant le sentiment que c’est une faction, et pas la totalité de l’appareil de la ZANU-PF (notamment les militaires), qui l’a emporté.

L’agonie du vieil opposant et les dissensions des dirigeants du MDC sont pourtant, dans l’immédiat, un handicap pour l’opposition. A cela s’ajoutent les manœuvres familiales, dont certaines relèvent de la cupidité. Des inconnus se sont déjà présentés au domicile de Tsvangirai, à Harare, pour « venir chercher des choses » et ont même tenté de forcer les gardes, à l’entrée, à leur ouvrir la maison. Il a fallu appeler la police pour les chasser. Ils affirmaient être « des parents ».

« C’est l’échec du grand homme : avoir mal préparé sa succession, mal géré sa maladie, note Piers Pigou. Mais, dans cette phase, le MDC va peut-être avoir la chance de se renouveler. Morgan Tsvangirai va peut-être survivre et revenir à Harare, mais pour la politique, c’est fini. On est déjà, effectivement, dans l’ère post-Tsvangirai. »