Après la soupe à la grimace qui avait accompagné le déplacement d’Emmanuel Macron en Corse, les 6 et 7 février, quelques – timides – sourires sont apparus sur les visages à la sortie de la réunion qui s’est tenue, mardi 13 février, au ministère de l’intérieur. La ministre chargée du dossier corse, Jacqueline Gourault, avait invité une quinzaine d’élus corses, dont le président du conseil exécutif, l’autonomiste Gilles Simeoni, et le président de l’Assemblée de Corse, l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni, à une première réunion de travail portant sur l’inscription de la Corse dans la Constitution.

« On est entré dans le concret », s’est félicitée Mme Gourault à l’issue de la rencontre, assurant que celle-ci s’était déroulée « dans un climat tout à fait constructif ». La ministre a confirmé la volonté du président de la République d’inscrire la Corse dans la Constitution, mais « personne ne s’est accroché sur les numéros d’article, sinon nous n’aurions pas avancé ». « Nous avons fait un tour d’horizon des compétences de la Corse, de la manière d’exercer certaines d’entre elles ou de les adapter afin d’arriver à une réforme de la Constitution qui corresponde à une attente des Corses et qui soit compatible avec le droit français et avec le droit européen », a-t-elle précisé.

Constat unanime

Une écoute saluée par M. Talamoni, pour qui « Mme Gourault connaît beaucoup mieux la question corse que le président de la République ». « Les choses se sont déroulées de manière un peu plus satisfaisante que ce que nous attendions, a reconnu le dirigeant indépendantiste. Pendant le voyage présidentiel, nous étions plus dans des postures. Ici, c’était une ambiance de travail, plus ouverte que prévu. »

Le tour de table pendant lequel se sont exprimés l’ensemble des élus corses, toutes étiquettes confondues, a fait ressortir un constat unanime. Le système actuel d’habilitation, censé permettre à l’Assemblée de Corse d’adapter les textes législatifs ou réglementaires dans certains domaines de compétence, ne fonctionne pas. « En trois mandatures, quarante demandes d’adaptation ont été effectuées. Résultat : trente-huit silences, deux refus », rappelle M. Simeoni.

La ministre en a pris acte. « Nous avons entendu cela et nous avons listé les thématiques sur lesquelles nous allons travailler », indique Mme Gourault. Pour M. Simeoni, il s’agit là d’un pas important. « A partir du moment où on n’est plus dans une logique d’habilitations au cas par cas, mais de transferts de compétence permanents, on s’approche d’un statut d’autonomie, relève le président du conseil exécutif. Je suis prudent, car chat échaudé craint l’eau froide, mais c’est quand même, du point de vue de la logique juridique et politique, incontestablement une avancée importante. »

Dès lors, où pourrait s’insérer une mention dans la Constitution ouvrant cette possibilité ? « Nous ne faisons pas de fétichisme sur les articles mais à chaque article s’attache une logique juridique, assure M. Simeoni. Nous ne voulons pas forcément être dans l’article 74, mais dans son environnement. » C’est là que l’unanimité affichée dans un premier temps dans cette réunion de travail trouve ses limites. « 72 ou 74, c’est d’abord politique avant d’être technique, note Jean-Martin Mondoloni, le président du groupe Per l’Avvene (droite) de l’Assemblée de Corse. 72, on adapte la loi ; 74, on fait la loi. Ce sont des divergences qu’il ne faut pas cacher. »

« C’est un pari »

Le gouvernement a donné un mois aux élus corses pour faire remonter leurs propositions, en indiquant que le projet de loi constitutionnelle qu’il prépare serait transmis mi-mars au Conseil d’Etat. « Nous allons jouer le jeu à fond », indique M. Simeoni, qui a mis en place une « task force » interne au conseil exécutif. « Fiscalité, politique linguistique, système éducatif, aménagement du territoire, logement, foncier et protection de l’environnement… Nous allons dire, domaine par domaine, pourquoi ça n’a pas marché et pourquoi on a besoin d’un transfert de compétences », explique le dirigeant autonomiste.

Le travail de concertation va donc se poursuivre pendant un mois au rythme d’une réunion hebdomadaire, avec une première réunion « technique », mardi 20, au ministère, puis une nouvelle rencontre avec les élus la semaine suivante, qui pourrait avoir lieu sur l’île, et probablement une réunion de conclusion à Matignon. « Il va falloir déboucher sur un déverrouillage constitutionnel dans le mois qui vient. C’est un pari », soupire M. Talamoni.

Ce dernier se referme brusquement lorsqu’il est questionné sur la garde à vue, au même moment, à la gendarmerie de Ghisonaccia, de Charles Pieri, qui se présente comme membre de l’exécutif de Corsica Libera, la formation que dirige M. Talamoni. Cet ancien responsable du FLNC, condamné à plusieurs reprises pour des faits de droit commun, est soupçonné d’être l’auteur d’un message calomnieux à l’encontre de la veuve du préfet Claude Erignac, posté sur Facebook. Une enquête a été ouverte pour « injures publiques en raison du sexe et de l’origine nationale ». Selon le procureur de la République, Charles Pieri est bien le détenteur du compte Di l’Altu Pianu sur lequel ce texte a été posté. « Il reste à savoir s’il est bien l’auteur de ce message », précise-t-il. Son domicile a été perquisitionné et du matériel informatique saisi.